INTERVIEW – CAROLINE BOUDEHEN

by Lou Anmella-de Montalembert

Entre 2015 et 2021, Caroline Boudehen, auteure et journaliste indépendante, spécialisée en art contemporain, est expatriée à Shanghai. Elle y côtoie la scène artistique et est le témoin de l’engouement sans précédent que connaît l’art contemporain en Chine, qu’elle analyse dans son premier livre « Le Boom de l’art contemporain en Chine », sorti en octobre 2022 aux Editions de l’Aube.

Between 2015 and 2021, the author and freelance journalist specialized in contemporary art Caroline Boudehen is expatriated in Shanghai. There, she visits the art scene and witnessed the unprecedented enthusiasm for contemporary art in China, which she analyses in her first book « Le Boom de l’art contemporain en Chine (The Boom of Contemporary Art in China) », released in October 2022 at Editions de l’Aube.

1- Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec la scène artistique contemporaine en Chine ?

Je m’en rappelle très bien. C’était en 2016, peu de temps après mon arrivée à Shanghai, il faisait encore froid et brumeux, je me promenais le long de la Suzhou Creek, près du Bund. Je suis passée par hasard devant une galerie d’art contemporain – la galerie Art+ Shanghai –  et j’y suis entrée, car ce que j’en avais aperçu depuis la rue m’a stoppée. De larges tableaux peints, avec des références à l’histoire de l’art occidentale, à la facture ultra contemporaine, et à l’aura mystérieuse… J’ai instinctivement ouvert la porte, et j’y ai rencontré les deux galeristes Ana Gonzalez et Agnès Cohade, francophones (un hasard !) qui m’ont chaleureusement accueillie et présenté l’exposition. Il s’agissait d’un solo show du duo Tamen. J’ai été immédiatement séduite par leurs œuvres. En rentrant chez moi, j’ai écrit un texte sur celles-ci, d’un trait, sur ce que cette rencontre m’avait alors inspirée, provoquée. Ce fut le début d’une aventure, avec l’art contemporain chinois, mais aussi avec la galerie Art+ Shanghai.

1- Can you tell us about your first encounter with the contemporary art scene in China?

I remember it very well. It was in 2016, shortly after I arrived in Shanghai. The weather was still cold and foggy, I was walking along the Suzhou Creek, near the Bund. I happened to pass by a contemporary art gallery – the Art+ Shanghai gallery – and I went in, stopped by what I had seen from the street: large paintings, with references to the history of Western art, with an ultra-contemporary style and a mysterious aura… I instinctively opened the door, and I met the two gallery owners Ana Gonzalez and Agnès Cohade, French speakers (a coincidence!) who warmly welcomed me and presented the exhibition. It was a solo show by the artists duo Tamen. I was immediately seduced by their artworks. When I got home, I wrote a text on them, in one go, on what this encounter had then inspired and provoked in me. It marked the beginning of an adventure with Chinese contemporary art, and also with the Art+ Shanghai gallery.

2- Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur ce sujet ?

De l’envie, de la nécessité de transmettre. Lorsque je me suis rendu compte de l’ampleur du phénomène « art contemporain », à travers mon métier de journaliste, mes observations, mes interviews, mes enquêtes menées depuis Shanghai dans le monde de l’art en Chine. 

J’ai eu la chance d’y vivre pendant une période inédite concernant l’art contemporain. J’ai été témoin de sa véritable explosion, de son infiltration dans la vie quotidienne des grandes villes, de son impact mais aussi, inversement, de l’influence des nouvelles générations sur celui-ci. 

2- How did you come up with the idea of writing a book on this topic?

From the desire, the need to pass my experience on. When I realized the extent of the « contemporary art » phenomenon through my job as a journalist, my observations, my interviews, my investigations carried out from Shanghai in the world of art in China.

I was lucky enough to live there during an unprecedented period for contemporary art. I witnessed its real boom, its infiltration into the daily life of big cities, its impact but also, vice versa, the influence of new generations on it.

View of the Bund – Photo : Caroline Boudehen

3- Vous avez construit votre livre en trois parties, pourriez-vous nous les résumer ?

Shanghai comme capitale chinoise de l’art actuel, l’ascension de ses musées et de ses galeries ainsi que les mutations constantes qui la caractérisent sont l’objet de la première partie. Elle est suivie par une analyse consacrée à l’adoption d’un nouvel art de vivre, dont l’art contemporain est emblématique, la pénétration de celui-ci au cœur de la ville et de la vie, à travers de nouveaux concepts et lieux spectaculaires, et de l’engouement sans précédent des nouvelles générations à son égard, leur influence et leur façon de fonctionner. La troisième et dernière partie se concentre sur l’art contemporain chinois à l’heure actuelle, comment l’année 2020 a révélé un marché en expansion, avec notamment le succès des foires d’art locales, et ce que signifie le retour de la tradition chez les jeunes artistes. L’ensemble est complété par une série d’entretiens avec des directeurs de galeries, des artistes, des collectionneurs, des mécènes et des organisateurs de grands événements artistiques. 

3- Your book is developed into three parts, could you summarize them for us?

The subject of the first part is Shanghai as the Chinese capital of contemporary art, the rise of its museums and galleries as well as the constant changes that characterize it. Following is an analysis devoted to the adoption of a new art of living, of which contemporary art is emblematic, its penetration into the heart of the city and of life, through new concepts and spectacular places, and the unprecedented enthusiasm of the new generations for it, their influence and their way of working. The third and final part focuses on contemporary Chinese art today, how 2020 has revealed an expanding market, including the success of local art fairs, and what the revival of the tradition among young artists means. The book is completed by a series of interviews with gallery directors, artists, collectors, patrons and organizers of major artistic events.

4- La Chine évolue de manière fulgurante. En six années de vie là-bas, quelles évolutions avez-vous remarquées en ce qui concerne l’art contemporain ?

Sa popularité. La fréquentation de plus en plus massive et assidue des institutions culturelles, la diversification des publics, de l’intérêt croissant de la part des jeunes collectionneurs.

Depuis 2015, l’art contemporain connaît en Chine un engouement sans précédent… l’ouverture de milliers d’institutions artistiques – d’immenses coquilles vides qui aujourd’hui accueillent de grandes expositions internationales – et d’une multitude de galeries d’art étrangères – de téméraires ovnis devenus incontournables –, les lieux dédiés à l’art contemporain, quasi inexistants il y a dix ans (le premier centre d’art privé a ouvert en 2007 à Pékin), sont de plus en plus fréquentés. 

4- China evolves rapidly. In six years of living there, what changes have you noticed in the contemporary art world?

Its popularity. The increasingly massive and assiduous visits to cultural institutions, the diversification of audiences, the growing interest of young collectors.

Since 2015, contemporary art in China has experienced an unprecedented enthusiasm… the opening of thousands of art institutions – huge empty shells that today host major international exhibitions – and a multitude of foreign art galleries – audacious ones which have become inevitable – and places dedicated to contemporary art which were almost non-existent ten years ago (the first private art center opened in 2007 in Beijing), are increasingly visited.

Centre Pompidou x West Bund Museum Project – Photo : Caroline Boudehen

5- Quelles tendances avez-vous observées dans les institutions ? Et sur le marché ? Comment qualifieriez-vous le goût local pour l’art contemporain ?

Concernant l’art contemporain, il y a un accueil de plus en plus évident pour les grandes expos internationales, et un intérêt porté sur les grands courants, les grandes figures de l’art occidental (Matisse, Picasso, Chagall, Braque…). L’Impressionnisme est toujours numéro un.

L’implantation du Centre Pompidou à Shanghai incarne par exemple un désir extrêmement fort du public chinois d’avoir accès aux chefs-d’œuvre d’une histoire de l’art qu’il connaît de mieux en mieux, et représente autant la volonté de conquête de ce public par l’Occident, à travers l’exercice de son soft power – son rayonnement culturel à l’étranger.

En Chine, ce sont les milléniaux et la génération Z qui constituent la majorité des collectionneurs d’art contemporain. La mode – qui au cœur de la consommation de ceux-ci – séduit une majorité de ces jeunes collectionneurs, et ainsi l’art qui lui est directement lié, comme le street art et le pop art, où des artistes tels que l’américain Kaws – célèbre pour ses personnages et jouets à grande échelle – ou Daniel Arsham – et ses moulages mêlant romantisme et ludisme – font figure d’idoles…

5- What trends have you observed in the institutions? And on the market? How would you qualify the local taste for contemporary art?

Regarding contemporary art, there is an increasingly obvious reception for major international exhibitions, and an interest in the major movements, the great figures of Western art (Matisse, Picasso, Chagall, Braque…). Impressionism is still number one.

The establishment of the Center Pompidou in Shanghai, for example, embodies an extremely strong desire of the Chinese public to have access to the masterpieces of an art history that they know better and better, and represents as much the desire of the West to win this audience, through the exercise of its soft power – its cultural influence abroad.

In China, the majority of contemporary art collectors is made up by millennials and the Generation Z. Fashion – which is central in their consumption – appeals to a majority of these young collectors, and so the art that is directly linked to it, such as street art and pop art, where artists such as the American Kaws – famous for his large-scale figures and toys – or Daniel Arsham – and his playful, romantic casts – are idols…

6- Depuis la pandémie, la Chine a fermé ses frontières et s’est repliée. Selon vous, quels sont ou seront les effets sur le milieu de l’art contemporain ?   

En 2020, la fermeture des frontières a conduit le marché à se resserrer autour du marché local. Cette année a finalement été révélatrice d’un marché en expansion, confirmé par le succès des foires d’art Art021 et West Bund Art & design. C’était une semaine de l’art redoutée, puisque la forte présence internationale de l’année passée avait largement contribué à la frénésie de ces événements… Les artistes locaux ont été mis en valeur, les collectionneurs plus concentrés, mais depuis la situation a bien sûr évolué. La sévérité des multiples confinements dans le pays, la grande difficulté d’y voyager contribuent à un essoufflement de la culture…

6- Since the pandemic, China has closed its borders and isolated. In your opinion, what are or will be the effects on the contemporary art world?

In 2020, the closure of borders led to the art market tightening around the local market. That year was finally indicative of an expanding market, confirmed by the success of the art fairs Art021 and West Bund Art & Design. It was a dreaded week of art, since the strong international presence of the past year had largely contributed to the frenzy of these events… Local artists were highlighted, collectors more concentrated, but since then the situation has of course evolved. The severity of the multiple lockdowns in the country, the great difficulty of traveling there contribute to the culture running out of steam…

Art West Bund – Photo : Caroline Boudehen

7- Vous êtes de retour en France : quelles différences constatez-vous entre l’art contemporain chinois montré en Chine, et celui montré en France / ou plus largement en Europe ? 

C’est très difficile à dire… Il y a les artistes chinois qui vivent en Europe depuis toujours ou très longtemps, ceux en résidence, ceux « bloqués » par la situation… Je trouve qu’il n’y a pas de différence majeure dans les sujets traités. C’est ce que j’explique dans mon livre, ces générations, vivant ici ou en Chine, ont pour la très grande majorité vécu ou voyagé à l’étranger, et sont donc liés à la culture occidentale. En Chine, on remarque toutefois un désir de réappropriation de la culture par ces jeunes artistes, de mettre en valeur leur patrimoine culturel. 

7- You are back in France: what differences do you notice between Chinese contemporary art shown in China, and that shown in France / or more widely in Europe?

It’s very difficult to say… There are Chinese artists who have been living in Europe forever or for a very long time, those in artistic residence, those « blocked » by the situation…To me there is no major difference in the topics they explore. I explain it in my book: the vast majority of these generations, living here or in China, have lived or traveled abroad, and are therefore linked to Western culture. In China, however, we notice a desire for a culture reappropriation by these young artists, to highlight their cultural heritage.

8- Avez-vous des conseils de lecture – votre livre bien sûr ! – pour qui souhaiterait creuser ce sujet de l’art contemporain en Chine ?

Les ouvrages de Georgina Adam en général pour comprendre le phénomène « art contemporain ». Plus spécifiquement sur le phénomène en Chine, ce livre inédit, une première histoire des institutions artistiques de Shanghai « Under Construction 2008-2016: A History of Shanghai Art Institutions» de Chao Jiaxing.

8- Do you have any reading tips – your book of course! – for those who would like to dig into this subject of contemporary art in China?

Georgina Adam’s writings to understand the phenomenon of « contemporary art ». More specifically on the phenomenon in China, this unprecedented book, an early history of Shanghai art institutions « Under Construction 2008-2016: A History of Shanghai Art Institutions » by Chao Jiaxing.