by Erwan Jambet
ACA project : Bonjour Ru ! Vous êtes né·e en 1995 en Allemagne, et avez vécu à Chypre, au Canada, en Corée, au Brésil et en France. Vous travaillez l’installation, la performance et l’écriture, afin de créer des environnements dans lesquels le public peut questionner les représentations et violences sexistes, coloniales et queerphobes. Votre travail a notamment été exposé à la Biennale de Coimbra au Portugal, au Sea Art Festival de la Biennale de Busan, et au CRAC Alsace. Si je vous qualifie de jeune artiste coréen·ne, est-ce une étiquette qui vous convient ?
Ru Kim : Bonjour Erwan ! J’ai effectivement grandi en déménageant et changeant de pays régulièrement. Pendant longtemps, la Corée était pour moi le pays de mes parents, celui d’où en apparences je venais, et pourtant je ne ressentais pas de forte connection à son égard. Si la citoyenneté allemande était déterminée par le droit du sol, m’auriez-vous présenté comme un·e jeune artiste allemand·e ? Après la fin de mes études en France, j’ai commencé à éprouver beaucoup de curiosité vis-à-vis de la Corée, et à me dire que c’était un endroit que j’avais envie d’expérimenter en tant qu’adulte. J’ai donc déménagé. Évidemment, j’entends que ces mots sont utiles pour positionner mon optique, mais comme pour tous les labels, je pense qu’ils sont plus intéressants lorsqu’ils font partie d’une liste.
ACA project : Hi Ru! You were born in 1995 in Germany, and have lived in Cyprus, Canada, Korea, Brazil, and France. You work with installation, video, performance, and writing to create environments where audiences can question sexist, racist, colonial and queerphobic violences and representations. Your work has notably been exhibited at the ANOZERO ‘21-’22 Coimbra Biennial of Contemporary Art in Portugal, Busan Biennale’s Sea Art Festival, and CRAC Alsace. If I were to call you a young Korean artist, would you agree with that label?
Ru Kim : Hi Erwan! As you have just noted I did grow up often moving around, changing countries every couple of years. For a long time Korea was the country of my parents, the country I was outwardly from, and yet which I did not think I felt so strong a connection to. Were German citizenship determined by jus soli, would you have called me a “young German artist”? After graduating in France, I became really curious about Korea, and felt that it was a place I wanted to get to experience as an adult. So I moved here to live and to work. While of course I agree that these words are useful to position my viewpoint, as with many labels I do feel that they could be more interesting as part of a list.
Il y a en ce moment un engouement général autour de la culture coréenne, qui s’étend de plus en plus à l’art contemporain également. Est-ce une des raisons pour lesquelles vous avez décidé de revenir en Corée en 2019 ? Pourquoi aviez-vous choisi la France pour vos études juste avant ?
Cela faisait un petit moment que j’avais envie de vivre en Corée. Après mon lycée à São Paulo, je suis revenu·e un an ici, et j’ai postulé dans quelques universités coréennes, mais ayant étudié en coréen pendant seulement deux ans, les processus de candidatures étaient complexes pour moi. Ce processus m’a permis de faire la part entre les chemins que je souhaitais prendre, et les autres. J’ai donc décidé de changer de voie, et de m’orienter vers un espace dans lequel je me sentirais plus libre de m’exprimer, avec moins de restrictions, et pour moi, c’était une école d’art en France.
Ma curiosité a joué un rôle important. Je voulais apprendre à mieux connaître la Corée et sa culture en tant qu’adulte, et artiste. Mon travail est fondé sur la recherche, et il est très important pour moi d’étudier l’environnement immédiat de l’artiste-praticien·ne et de celles et ceux auprès de qui les œuvres sont mises à disposition. J’ai déménagé à Séoul cette année, et eu la chance de recevoir une bourse de la Seoul Foundation for Arts and Culture. J’ai donc travaillé à la préparation de mon exposition individuelle “ECOTONE: Capacity for Escape » à Post Territory Ujeongguk.
Je souhaitais en apprendre plus sur la culture, mais je voulais aussi apprendre à connaître les scènes féministe et queer en Corée, et les expérimenter directement. J’ai découvert ces scènes pour la première fois pendant mes études en France, et c’est à ce moment que j’ai commencé à m’identifier en tant que personne non-binaire, et me sentir réellement accepté·e dans les communautés queers. Je voulais voir ce qu’une pratique non-eurocentrée du féminisme pouvait être ici, en Corée.
There seems to be a global hype around K-culture right now that is also extending to contemporary art. Is that part of the reason why you chose to move back to Korea in 2019? Why did you decide to move to France for your studies before that?
I’ve been wanting to spend some time in Korea for a while. After graduating high school in São Paulo, I spent a year here and also applied to some Korean universities. However, as I had only done two years of school in Korean, I found the fully Korean-language-based application process quite difficult. In this process however, I was able to see which paths I wanted to take and which ones I did not. So I came to the decision to switch lanes and go into an arena where I could have more freedom to express myself, with less restrictions. And for me, that was art school in France.
So regarding Korea, curiosity was a big factor. I wanted to get to know the country and culture better as an adult and practicing artist. My work is research-based, and I find it important to do the research about the place most immediate to both the practitioner and to those the work is made available to. Earlier this year, I moved to Seoul and was fortunate to receive the Seoul Foundation for Arts and Culture Project Grant, so I have been working to prepare for my solo exhibition “ECOTONE: Capacity for Escape » at Post Territory Ujeongguk.
I wanted to learn about the culture, but I also wanted to know what the feminist and queer scenes were like in Korea, and to experience them first hand. I first delved into these scenes during university in France, and started to identify as non-binary and felt really welcomed into queer communities there. I wanted to see what a non-Eurocentric practise of feminism could be here, in Korea.
Je voulais également évoquer votre installation Face Value (Artist Residency TEMI, Daejeon, 2021), qui était une itération précédente du travail que vous présentez ici à Séoul, et qui invitait déjà le public à interagir avec l’installation. Dans Tax Returns de même (CONTACT, 2020, Clayarch Gimhae Museum), les personnes visitant l’exposition étaient invité·es à repartir avec l’une des 50 assiettes en céramique sur lesquelles vous aviez gravé le sinogramme 朋. Quelles sont les raisons pour lesquelles cette dimension “participative” est importante pour vous ?
Il est important pour moi de penser à ce que je rend disponible, et qui peut être activé par quiconque entre en contact avec. L’œuvre à laquelle vous faites référence à Clayarch était un geste à dimension performative, celui de rendre aux citoyen·nes l’argent de leurs impôts sous une forme tangible, et emprunte d’un aspect queer sous-jacent : l’histoire relative aux gungnyeo (궁녀) du XVe siècle, et à ce que nous imaginons avoir possiblement été leur code secret queer.
Dans cette installation sur laquelle j’ai travaillé ces dernières années, des masses d’eau dialoguent entre elles sous la forme d’un script. Les visiteurs peuvent lire le texte dans des microphones, et en quelque sorte pratiquer le fait de devenir eau, apprendre de leurs stratégies. Ce que je trouve intéressant dans ce processus, plus que la participation, c’est la recherche autour des manières dont nous pouvons jouer avec nos points de jonction avec l’installation, et entre nous, et de nous y attarder un temps.
I wanted to mention your installation Face Value (Artist Residency TEMI, Daejeon, 2021), which was another iteration of the work you are currently showing, also inviting people to interact with the work. In Tax Returns (CONTACT, 2020, Clayarch Gimhae Museum), visitors were invited to take home one of the 50 ceramic plates engraved with the chinese character 朋 you had produced during the residency. Why is that “participatory” dimension important to you?
It’s always important for me to think about what I’m making available to become activated by someone who enters in contact with it. The work you mentioned at Clayarch was the performance of a gesture of giving citizens back their tax money in tangible form with an underlying queer aspect to it – the history touching on 15th century gungnyeo (궁녀) and what we imagine to be their possibly secret queer signalling to each other.
In this work that I’ve been producing for the past couple of years, there are bodies of water that talk to each other in the form of a script. Visitors are welcome to read the text into the microphones in the space, and in a sense engage in the practice of becoming water, learning from their strategies. So I guess what I find interesting in the process is, more than participation, looking for ways to play on our entanglements to the works, and to one another, and lingering there for a while.
En parlant de réception de votre travail, une partie des opinions dominantes dans la société coréenne sont majoritairement conservatrices, notamment concernant le féminisme ou les droits queers. Votre art et vos recherches étant politiques, avez-vous ressenti une forme d’appréhension vis-à-vis d’un éventuel impact sur votre carrière ?
Lorsque je me suis installé·e en Corée, j’étais curieux·se vis-à-vis des scènes queer et féministe. Je faisais les choses parce que j’avais envie d’en apprendre plus sur ces communautés et leur histoire. En même temps, c’est quelque chose auquel je pense beaucoup, car pour moi, mon travail envisage les possibilités offertes par l’art pour qu’il devienne un outil de résistance vis-à-vis des différentes formes de violence émanant d’idéologies de domination, binaires, et tente de chercher des formes qui pourraient briser ces idéologies. C’est aussi la raison pour laquelle je m’intéresse au rôle des visiteur·euses. Mais il est toujours important pour moi que mon travail soit basé sur des recherches, des faits et fragments historiques, et soit collaboratif. Au bout du compte, je pense que je fais de l’art pour me sentir moins seul·e.
Talking about the reception of your work, some parts of the Korean society’s views are predominantly conservative, especially regarding feminism or queer rights. Your art and research being political, were you ever apprehensive of the impact that could have on your career?
When I came to Korea, I was curious about the queer and feminist scenes, and just doing things because I wanted to learn more about these communities and histories. At the same time, it is something that I think a lot about because for me, the work I do is thinking through the possibilities of art to become a tool of resistance against the various kinds of violences that stem from ideologies of domination, of binaries, and looking for forms to possibly break those down. This is also why I’m interested in the role that visitors could take on in exhibition settings. But it’s always important for me to work through research, based on historical facts and fragments, and also in collaboration. At the end of the day, I think I make art to feel less alone.
L’œuvre que vous présentez ici est une nouvelle itération d’une installation sur laquelle vous travaillez depuis un moment. L’envisagez-vous comme un projet continu ?
Jieon Lee, curatrice, parle de cette exposition comme d’une “conjugaison d’un lien entre [mes] œuvres passées et ma pratique”. L’exposition rassemble des histoires relatives à quatre masses d’eau. Chacune de ces histoires provient de recherches liées à un endroit spécifique.
L’un de ces lieux est la rivière Han coulant sous le pont de Mapo. Ce pont étant historiquement connu comme un lieu où de nombreuses personnes se suicident, un projet nommé “pont de la vie” fut initié pour tenter d’inverser cette tendance. Mais l’effet inverse s’est produit, le nombre de suicides a explosé, et les gens ont commencé à parler du “pont des suicides”.
Il y a également des eaux de la région de Gijang à Busan, près de la centrale nucléaire KORI. Il y avait un projet de désalinisation, qui n’était pas nécessaire pour les citoyen·nes, mais dont le but réel était de servir d’exemple afin de favoriser les exportations de ce système dans d’autres pays, aux dépens des habitant·es.
Une autre est la mer Méditerranée, où les pays européens et l’agence de contrôle des frontières FRONTEX ferment les routes terrestres les plus accessibles aux migrant·es tentant de rejoindre l’Europe. En laissant les routes maritimes, extrêmement dangereuses, ouvertes, la mer devient une sorte de bouc émissaire qui leur permet de dire : “ce n’était pas nous, c’est la mer qui les a tué ».
La quatrième itération sont des eaux au Portugal, où la plus grande réserve de lithium européenne se trouverait. Cette itération fonctionne comme un lien thématique entre les eaux rencontrant le lithium, les sécheresses hivernales et les aqueducs romains, symboles de pouvoir, présents dans la région.
Ce sont les quatre masses d’eau, et l’installation présente des fragments de conversation entre ces eaux, qui portent en elles une mémoire des temps pré-humains. Elles sont dans tous ces scénarios piégées, instrumentalisées pour des gains externes qui bénéficient principalement à des nécropolitiques découlant de l’impérialisme et du colonialisme.
The piece you’re showing here is a new iteration of an installation that you have already been developing. Do you see it as an ongoing project?
Curator Jieon Lee calls this exhibition a “conjugation of the bond of [my] past artworks and practice”. It brings together stories concerning four different bodies of water. Each of these stories stem from site-specific research that I did for past showings of this work.
One is of the Han River flowing underneath the Mapo bridge. There was a project called the “Bridge of Life” initiated to curb rates of suicide, because this bridge was historically known to be a spot for suicides. But the project backfired, and people started calling it the “suicide bridge” as the number of suicides committed there increased tremendously.
There is also water from the Gijang area in Busan, that is close to the KORI Nuclear Power Plant, where there was a proposal for a project of desalination. This project wasn’t necessary for the citizens, and it turned out that its goal was actually to provide a success model for exporting this desalination system to other countries, at the expense of local habitants.
Another is in the Mediterranean sea where European nations are complicit with the border control agency FRONTEX in closing off the more accessible land routes for migrants attempting to get to Europe. They leave the Mediterrean Sea open, which is extremely dangerous, so it becomes a kind of scapegoat for them to say that “it wasn’t us, but it was the sea who murdered them”.
The fourth iteration was waters in Portugal, where the biggest lithium reserve in Europe is predicted to be. This iteration works through a thematic link between waters that meet lithium, winter droughts, and also Roman aqueducts, a symbol of the Roman power, that can still be found in Portugal.
Those are the four main waters, and there are fragments of conversation of these waters who carry their memory of pre-human times. Waters are framed in all these scenarios, they are being used for other gains, benefiting mostly necropolitical policies rooted in imperialism and colonialism.
Que pensez-vous de la scène artistique coréenne et de son dynamisme saisissant en ce moment, en particulier ici à Séoul ?
Durant ces deux dernières années passées en résidence, j’ai rencontré des artistes de différentes générations, avec des parcours divers. J’ai constaté qu’il existe des dispositifs de soutien pour les artistes émergents, qu’il existe des espaces d’expérimentation. Je pense que nous vivons un moment passionnant en Corée, et j’ai hâte de forger de nouvelles relations au travers de mes rencontres, collaborations et projets à venir.
There is currently a very vibrant art scene here in Seoul. Do you have any views on the Korean scene?
These past two years I spent in residencies I’ve come into contact with artists from different generations and life paths and a common thing I’ve heard is that there is support for emerging artists. There’s room for lots of experimentation. I think it’s an exciting moment here, and I can’t wait to forge further kinships through encounters and collaboration in my upcoming projects.