by Li Yuhang
À la recherche d’une symbiose dans un monde contemporain perdu
De la révérence à la compréhension, en passant par la copie, l’occupation et le contrôle, le rapport de l’homme à la nature est passé par plusieurs étapes, de l’irrationnel au rationnel en termes de pensée. Pour le dire autrement, au début, nous ne pouvions qu’accepter passivement ce qui nous arrivait, mais peu à peu, nous avons activement appris à comprendre ce qui nous entoure et même prédire ce qui allait se passer autour de nous. L’homme qui se dépréciait autrefois a renoncé à la sainteté religieuse pour embrasser la suprématie individuelle dans le monde contemporain. Au moment où nous pensons avoir écarté tout ce qui est contre nous et maîtriser le monde qui nous entoure, la nature, de son côté, ne cesse de se redéfinir et de nous avertir des limites humaines. Dans ce monde déséquilibré et dominé par l’homme, nous avons grand besoin de réexaminer notre relation avec la nature.
Lorsque le philosophe français Bruno Latour a appelé à un effort commun pour faire face à l’Anthropocène, la nature, dans un sens absolu, semble avoir disparu et l’opposition binaire conventionnelle entre l’homme et la nature est dépassée, il devrait donc y avoir plus de diversité dans la compréhension de leur relation. Le « nomadisme » est-il un sujet d’actualités ? Quelle inspiration la paix et la résolution des nomades peuvent-elles nous donner face à l’incertitude de notre rapport à la nature, à nous-mêmes et à l’autre ?
En tant que projet, « Go Nomadic Together » est un champ d’expérimentation ouvert en termes de temps et de lieu qui implique diverses pratiques interculturelles, interdisciplinaires et multimédias. Le « nomadisme », au cœur du projet, est une méthode, non pas un nom mais un verbe. Le « nomadisme », qui n’est pas quelque chose de descendant, vise la fusion et le bénéfice mutuel. Il ne s’attarde pas sur un ordre rigide mais remet en question et réfléchit sur ce qui est établi. Il ne s’agit pas d’une obéissance unilatérale mais d’empathie, pas d’un spectacle ou d’un résultat romancé mais d’un concept dynamique et durable. Se méfiant de la définition conventionnelle du centre et de la marge, « Go Nomadic Together » passe de la marge au centre, puis revient à la marge.
« Go Nomadic Together » est basé sur l’expérience physique. Vivant dans des villes modernes, nous sommes physiquement étendus par des médias de toutes sortes, chacun nous permettant d’être plus physiquement capables, « Go Nomadic Together » nous permet de nous référer à l’expérience physique dans le monde réel et virtuel fondé sur la technologie contemporaine et de reprendre la perception autrefois abandonnée. Partant des rites, elle passe des rites traditionnels à un sens quotidien des rites dans le monde contemporain, encourageant une réflexion à la fois sur le sacré et le séculaire en termes d’espace aujourd’hui.
« Go Nomadic Together » ne comprend pas l’art traditionnel du chevalet, car les artistes participants ne travaillent pas pour remplir les musées d’art, mais choisissent d’embrasser la nature et les espaces publics. Ils sortent de leurs ateliers, interviennent dans les espaces publics de la communauté ou s’immergent dans la nature plutôt que de s’enfermer dans leur propre monde, en attendant que l’inspiration leur vienne. Contrairement à l' »unicité » artistique mise en avant dans l’art moderne depuis le XIXe siècle, ce projet met en avant l’aspect communautaire et public, c’est-à-dire que les artistes intègrent dans leur art leur propre compréhension et s’immergent dans l’environnement et la réalité actuels.
Que nous apporte l’art ? À quel problème répond-il ?
Dans les « Derniers Jours », terme utilisé par les philosophes et les anthropologues pour désigner un monde non anthropocentrique dont l’environnement se détériore, le capitalisme pro-développement est-il encore valable ? Participent à notre discussion sur la possibilité de vivre dans les ruines capitalistes qui sont les nôtres des acteurs de la philosophie, de l’anthropologie et de l’art, qui, partant d’une perspective marginale ou micro vers un sujet plus vaste, répondent à la précarité de la condition humaine.
De la « première nature » incluant l’homme à la « seconde nature » modifiée par le capitalisme, nous assistons à une histoire de domestication et de conquête dans laquelle l’être humain devient progressivement le protagoniste subjectif. Quelles seront alors les possibilités offertes par ce que certains chercheurs appellent la « troisième nature » ?
Face à ce monde perdu, artistes et chercheurs nous proposent de changer la mentalité anthropocentrique à laquelle nous nous accrochons depuis si longtemps et de prôner la symbiose avec la nature et « l’autre », en l’occurrence d’autres cultures ou même d’autres espèces.
« Go Nomadic Together » est un appel à l’effort contre la perte d’équilibre de nos jours. Sur la base du consensus auquel les artistes sont parvenus, une nouvelle communauté se forme et une « tribu » naît du projet. Riche en signification contemporaine, elle est composée de personnes issues de milieux culturels diversifiés qui s’attachent à leur singularité artistique tout en conservant le consensus du groupe et la mémoire collective et tentent d’explorer de nouvelles possibilités par l’échange d’idées. « Go Nomadic Together » construit un champ d’expérimentation où des personnes d’origines culturelles différentes font preuve d’empathie et cherchent ce qu’elles ont en commun et une issue partagée. Il montre également comment ces artistes réfléchissent à notre monde perturbé et perdu et méditent, ressentent, déconstruisent et reconstruisent en vertu du « nomadisme ».
« Go Nomadic Together » nous offre un mode de pensée pour décomposer la subjectivité humaine et réexaminer une modernité profondément enracinée. Gardons à l’esprit, comme le préconisait l’anthropologue Anna Tsing, la prospérité commune de toutes les formes de vie dans le monde, qu’elles soient humaines ou non, ainsi que le fait que les êtres humains ne peuvent pas prospérer seuls en abusant des autres formes de vie.
A propos de l’auteure : Li Yuhang, née à Zhejiang (Chine), étudie actuellement à l’École pratique des hautes études de Paris. Elle est diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales en Arts et langages et de l’École des Beaux-Arts de Marseille. Ses recherches actuelles portent sur les serments dans le contexte tibétain. Elle est engagée pour l’interdisciplinarité et s’engage à la pratiquer et à s’en inspirer mutuellement dans ses créations et ses recherches.
« Go Nomadic Together » a bénéficié d’une exposition au Rhizomic Space à Pékin de Juin 2020 à Juin 2021
Seeking Symbiosis in the Lost Contemporary World
From reverence to understanding, copying, occupation and control, the way man relates to nature has gone through several stages from irrational to rational in terms of thinking. In other words, we in the beginning could only passively accept what had befallen us, but little by little we actively learned to understand what had happened and could even predict what was to happen around us. The once self-deprecating man gave up religious sanctity to embrace individual supremacy in the contemporary world. Just as we think we have shut out everything that is against us and have the world around us in control, nature, in its own right, keeps redefining itself and warning us of human limitation. We, in the imbalanced, man-dominated world, badly need to re-examine our relation with nature.
When the French philosopher Bruno Latour called for joint effort to face Anthropocène, nature, in an absolute sense, seems to be gone and the conventional binary opposition between man and nature outdated, so there ought to be more diversity in the understanding of their relation. Is “nomadism” a good topic in present days? What inspiration can the peace and resolution of the nomads give us in face of uncertainty when we relate ourselves to nature, to the self, and to the other?
As a project, “Go Nomadic Together” is an open field for experiment in terms of time and place that involves various cross-cultural, interdisciplinary, and cross-media practice. “Nomadism”, central to the project, is a method, not a noun but a verb. “Nomadism”, not something top-down, aims at fusion and mutual benefit. It does not dwell on a rigid order but challenges and reflects on what is established. It is not about a one-sided obedience but about empathy, not a spectacle or a romanticized result but a dynamic and sustainable concept. Suspicious of the conventional definition of the center and the margin, “Go Nomadic Together”moves from the margin to the center and then back to the margin again.
“Go Nomadic Together”is based on physical experience. Living in modern cities, we are physically extended by media of all kinds, each enabling us to be more physically capable,“Go Nomadic Together”allows us to refer to physical experience in the real and virtual world founded on contemporary technology and pick up the once abandoned perception. Starting with rites, it shifts from traditional rites to a quotidian sense of rites in the contemporary world, encouraging reflection both on the sacred and the secular in terms of space today.
“Go Nomadic Together”does not include traditional easel art, as these participating artists do not work to cram art museums but choose to embrace nature and public spaces. They step out of their studios, intervene in public spaces in the community or immerse themselves in nature rather than shutting themselves in their own worlds, waiting for inspiration to strike. Unlike the artistic“uniqueness”stressed in modern art since the 19th century, this project highlights the communal and public aspect, in other words, the artists integrate into their art their own understanding and get immersed in the present environment and reality.
What does art bring us? What problem does it respond to?
In the“Last Days”, a term philosophers and anthropologists use to refer to the environmentally deteriorating, non-anthropocentric world, is the pro-development capitalism still valid? Involved in our discussion about the possibility of life in the capitalistic ruins of ours are action-takers from philosophy, anthropology, and art, who, moving from a marginal or a micro perspective toward a huge topic, respond to the precarious human condition.
From the man-including“first nature”to the capitalism-altered“second nature”, what we see is a story of domestication and conquering in which human beings gradually become the subjective protagonist. Then what possibilities will there be in what some scholars call the“third nature”?
In face of the lost world, artists and scholars propose that we should change our anthropocentric mentality that we have clung to for so long and advocate symbiosis with nature and “the other”, in this case other cultures or even other species.
”Go Nomadic Together” is a call for effort against the loss of balance in present days. Based on the consensus the artists reached, a new community is formed and a “tribe”is born of the project. Rich in contemporary significance, it is made up of people from diversified cultural backgrounds who stick to their artistic uniqueness while keeping group consensus and collective memory and try to explore new possibilities through exchange of ideas.
”Go Nomadic Together” builds a field of experiment where people of different cultural backgrounds show empathy and seek what they have in common and a shared way out. It also shows how these artists reflect on our disrupted, lost world and meditate, feel, deconstruct and reconstruct by virtue of “nomadism”. ”Go Nomadic Together”offers us a way of thinking to break down human subjectivity and re-examine the deep-rooted modernity. Let’s bear in mind, as the anthropologist Anna Tsing advocated, the common prosperity of all the life forms in the world, human or non-human, as well as the fact that human beings cannot thrive alone by abusing other forms of life.
About the writer: Li Yuhang, born in Zhejiang (China), is currently studying at the École pratique des hautes études in Paris and at the Institute national des languages et civilisations in the department of Tibetan. She graduated from the École des hautes études en sciences sociales in Paris in the field of art and language and the École des Beaux-Arts de Marseille. Her current research is on oaths in the Tibetan context. She is committed to interdisciplinary as well as interdisciplinary practice, giving each other inspiration in her creations and research.
« Go Nomadic Together » has been exhibited at Rhizomic Space in Beijing from June 2020 to June 2021.