by Eléonore Dalzon //
Quatre biennales, un continent en transformation
De Taipei à Shanghai, de Singapour à Phuket, quatre biennales majeures dessinent le visage d’une Asie en questionnement cet hiver 2025-2026. Ces rendez-vous internationaux interrogent la temporalité, le désir, le vivant, l’urbanité ainsi que les liens entre les peuples à travers des regards artistiques pluriels. Investissant aussi bien les musées que l’espace urbain, ils brouillent les frontières entre l’art et le quotidien et révèlent les tensions et les aspirations de villes et de sociétés en perpétuelle mutation. Loin d’être de simples événements culturels, ces biennales s’affirment comme de véritables espaces de réflexion collectifs. L’art y apparaît alors comme un outil essentiel pour penser le passé, vivre le présent et esquisser les futurs possibles.
Four biennials, a continent in transition
From Taipei to Shanghai, from Singapore to Phuket, four major biennials paint a picture of Asia in flux in winter 2025-2026. These international events explore temporality, desire, life, urbanity, and the connections between peoples through a variety of artistic perspectives. Taking place in museums and urban spaces alike, they blur the boundaries between art and everyday life and reveal the tensions and aspirations of cities and societies in constant change. Far from being mere cultural events, these biennials assert themselves as true spaces for collective reflection. Art thus appears as an essential tool for thinking about the past, living in the present, and outlining possible futures.
Taipei Biennial // 01.11.2025 – 29.03.2026
Événement incontournable de la programmation culturelle taïwanaise, la 14ᵉ édition de la Biennale de Taipei, intitulée Whispers on the Horizon, a été inaugurée le 1ᵉʳ novembre. Ce rendez-vous artistique et culturel, accueilli par le Taipei Fine Arts Museum (TFAM), réunit plus de 72 artistes venus du monde entier sous le commissariat de Sam Bardaouil et Till Fellrath, directeurs du Hamburger Bahnhof – Nationalgalerie der Gegenwart à Berlin.
Entre espoir et réalité, la Biennale propose une réflexion subtile où, dans le souffle d’un murmure ou l’esquisse d’un geste, le visiteur est invité à repenser sa perception du monde. Whispers on the Horizon cherche à dépasser le possible et le tangible pour tisser des liens entre désir, imagination et métamorphose. Trois éléments, pourtant absents de l’exposition, constituent le fil rouge de cette édition : la marionnette du film The Puppet Master (Hou Hsiao-Hsien, 1993), qui incarne la continuité ; le journal issu du court ouvrage My Kid Brother Kangxiong de Chen Yingzhen, qui symbolise l’intériorité ; et le vélo de la nouvelle de Wu Ming-Yi, The Stolen Bicycle, qui représente la quête. La Biennale tisse également un dialogue entre œuvres contemporaines et pièces issues des collections du TFAM. Une trentaine d’œuvres historiques — parmi lesquelles une importante sélection de photographies des années 1930 à 1980 — sont réparties au fil du parcours en résonance avec de nouvelles productions. Elles participent à un dialogue intergénérationnel où les œuvres du passé deviennent des témoins de continuité et de transformation. Enfin, l’architecture de l’exposition se distingue par l’usage de cloisons textiles suspendues, où les frontières et les limites fluctuent, accentuant la dimension contemplative de la Biennale.
The 14th Taipei Biennial, entitled ‘Whispers on the Horizon’, opened on November 1. This landmark event is a major highlight of Taiwan’s cultural calendar. Hosted by the Taipei Fine Arts Museum (TFAM), this major artistic and cultural gathering features more than 72 artists from around the world. Sam Bardaouil and Till Fellrath, directors of the Hamburger Bahnhof – Nationalgalerie der Gegenwart in Berlin, curated the exhibition.
Suspended between hope and reality, the biennial offers a subtle reflection in which visitors are invited to rethink their perception of the world through the breath of a whisper or the sketch of a gesture. Whispers on the Horizon seeks to transcend the realm of the possible and tangible by weaving connections between desire, imagination, and metamorphosis. Though absent from the exhibition itself, three elements form the conceptual thread of this edition: the puppet from the film ‘The Puppet Master’ (Hou Hsiao-hsien, 1993), which embodies continuity; the diary from the short book ‘My Kid Brother Kangxiong’ by Chen Yingzhen, symbolizing interiority; and finally the bicycle from Wu Ming-yi’s short story ‘The Stolen Bicycle’, which represents the quest. The biennial also establishes a dialogue between contemporary works and pieces drawn from the TFAM collections. Around thirty historical works, including a significant selection of photographs from the 1930s to the 1980s, are distributed throughout the exhibition, resonating with newly commissioned productions. These pieces foster an intergenerational dialogue, in which works from the past serve as witnesses to continuity and transformation. Finally, the architectural design of the exhibition is distinguished by suspended textile partitions where borders and boundaries remain in flux, thereby heightening the Biennial’s contemplative dimension.
Shanghai Biennale // 08.11.2025 – 31.03.2026
Première biennale créée en Chine et aujourd’hui reconnue comme l’une des plus influentes en Asie, la Biennale de Shanghai voit le jour en 1996, portée par une volonté affirmée de soutenir la création artistique, académique et culturelle contemporaine. Pour cette nouvelle édition, le commissariat est assuré par Kitty Scott, accompagnée de Daisy Desrosiers et de Xue Tan, ainsi que de Long Yilang et Zhang Yingying, tous deux issus du programme des commissaires émergents de la Power Station of Art (PSA) de Shanghai. Cette année, la Biennale investit plusieurs lieux à travers la ville et s’étend au-delà de l’espace de la PSA pour embrasser pleinement l’espace urbain. Elle réunit 67 artistes et plus de 16 collectifs autour de ce temps fort de la création contemporaine.
Intitulée Does the Flower Hear the Bee?, cette 15ᵉ édition propose une réflexion sur les différentes formes d’intelligence, humaines ou non. À l’heure où le monde se transforme à une vitesse qui dépasse parfois l’entendement, l’humanité se trouve confrontée à un profond sentiment d’incertitude, pouvant aller jusqu’au désarroi, et nourrissant une impression d’urgence. Dans ce contexte, l’art apparaît comme un moyen de sortir de la confusion et de l’anxiété, en ouvrant la voie à de nouvelles formes de dialogue. Le titre de la Biennale fait ainsi écho à la nécessité d’être à l’écoute du monde qui nous entoure et des réalités multiples qui l’habitent. Poètes, écrivains, intellectuels, artistes, commissaires, musiciens et scientifiques font de cet événement un espace de réflexion pour envisager l’avenir à travers le prisme de l’art. En accord avec ce thème, le public est invité à habiter l’espace d’exposition et à s’y égarer. L’architecture elle-même devient un paysage construit, à la fois en relation avec le visiteur et avec l’œuvre. La notion de spatialité y est primordiale, à l’image des jardins des traditions lettrées chinoises et japonaises, où de nouvelles perceptions se révèlent au fil de la déambulation.
Founded in 1996 as the first biennial in China and now recognized as one of the most influential in Asia, the Shanghai Biennale was established with a clear commitment to supporting contemporary artistic, academic, and cultural creation. For this new edition, the curatorial team is led by Kitty Scott, joined by Daisy Desrosiers and Xue Tan, as well as Long Yilang and Zhang Yingying, both from the emerging curators program of the Power Station of Art (PSA) in Shanghai. This year, the Biennale will unfold across multiple venues throughout the city, extending beyond the PSA to engage fully with the urban landscape. The Biennale brings together 67 artists and over 16 collectives for this significant event in contemporary art.
Entitled ‘Does the Flower Hear the Bee?’ this 15th edition explores different forms of intelligence, both human and non-human. In a world changing at a pace sometimes beyond our understanding, humanity confronts profound uncertainty and disorientation, fueling a sense of urgency. In this context, art emerges as a means of moving beyond confusion and anxiety by opening up new forms of dialogue. The Biennale’s title thus echoes the need to attentively listen to the world around us and the multiple realities that inhabit it. Poets, writers, intellectuals, artists, curators, musicians, and scientists have shaped this event into a space for reflection on the future through art. In keeping with this theme, visitors are invited to inhabit the exhibition space and lose themselves within it. The architecture itself becomes a constructed landscape in dialogue with the viewer and artwork. The notion of spatial experience is central, recalling the gardens of Chinese and Japanese literati traditions where new perceptions unfold through wandering.
Singapore Biennale // 31.10.2025 – 29.03.2026
Le 31 octobre 2025 a marqué le retour de la Biennale de Singapour, organisée par le Singapore Art Museum et portée par le National Arts Council, réunissant plus de 80 artistes. Plusieurs institutions ont été invitées à contribuer à cette édition, notamment Hyphen (Indonésie), SAVVY Contemporary (Allemagne), l’Asian Film Archive (Singapour), Hothouse (Singapour) et The Packet (Sri Lanka). La Biennale est commissariée par Duncan Bass, Hou Fang-Tze, Ont Puay Kim et Selen Yao. Pour la première fois, la Biennale déploie une grande partie de son programme au cœur de la ville, notamment à Fort Canning Park et le long du Rail Corridor. Ces lieux — allant d’espaces historiques réaménagés en zones publiques aux quartiers résidentiels, ou encore aux centres commerciaux — servent de terrains d’exploration pour les artistes.
Placée sous la maxime Pure Intention, qui interroge la notion de volonté authentique, cette huitième édition incite les visiteurs à regarder Singapour sous un jour nouveau. Ils sont invités à redécouvrir les différentes strates qui composent la ville — héritières du passé et promesses de nouvelles aspirations — et à accueillir la surprise née de cette redécouverte. Les habitants sont conviés à repenser l’avenir de leur cité à travers les nouvelles perspectives offertes par l’intégration des œuvres au cœur de leur environnement quotidien. Les commissaires entendent également mettre en lumière le rythme accéléré du développement urbain et social, faisant de l’art un vecteur privilégié pour appréhender le temps, l’identité et la transformation. L’artiste devient alors l’interprète du flux continu qui traverse la ville, nourrissant sa métamorphose à travers son architecture, sa société et sa culture. Plateforme majeure de l’art contemporain international, la Biennale de Singapour réaffirme la place du pays dans les échanges artistiques mondiaux. En valorisant les pratiques de l’Asie du Sud-Est et en promouvant des collaborations internationales, elle positionne Singapour comme un centre du dialogue artistique. L’édition 2025 met l’accent sur les ambitions culturelles du pays en intégrant l’art à la vie quotidienne et urbaine. Elle encourage ainsi une appréciation collective de la création contemporaine et participe à l’élaboration d’un avenir partagé pour la cité.
October 31, 2025 marked the return of the Singapore Biennale, organized by the Singapore Art Museum and supported by the National Arts Council, bringing together more than 80 artists. Several institutions were invited to contribute to this edition, including Hyphen (Indonesia), SAVVY Contemporary (Germany), the Asian Film Archive (Singapore), Hothouse (Singapore), and The Packet (Sri Lanka). Duncan Bass, Hou Fang-Tze, Ont Puay Kim, and Selen Yao curated the Biennale. For the first time, the Biennale deploys a large portion of its program in the heart of the city, notably at Fort Canning Park and along the Rail Corridor. These sites—ranging from historic spaces redeveloped as public areas to residential neighborhoods and shopping centers—serve as fields of exploration for the artists.
Under the guiding theme of ‘Pure Intention’, which questions the notion of authentic will, this eighth edition invites visitors to see Singapore from a new perspective. Visitors are encouraged to rediscover the city’s many layers—heirs to the past and promises of new aspirations—and embrace the sense of surprise born from this renewed perspective. Residents are invited to rethink the future of their city through the new viewpoints opened up by integrating artworks into their everyday environment. The curators also seek to highlight the accelerated pace of urban and social development by positioning art as a privileged lens through which to understand time, identity, and transformation. Thus, the artist becomes an interpreter of the city’s continuous flow, shaping its metamorphosis through architecture, society, and culture. As a major platform for international contemporary art, the Biennale reaffirms Singapore’s role in global artistic exchanges. By highlighting practices from Southeast Asia and promoting international collaborations, Singapore is positioned as a hub for artistic dialogue. The 2025 edition emphasizes the nation’s cultural ambitions by integrating art into daily and urban life. The Biennale encourages a shared appreciation of contemporary creation and contributes to shaping a collective future for the city.
Thailand Biennale // 29.11.2025 – 30.04.2026
De Krabi (2018) à Phuket (2025), la Biennale de Thaïlande se déplace à chaque édition dans une nouvelle région du pays afin de mettre en valeur la création artistique et d’enrichir les pratiques curatoriales à l’échelle nationale. Cette nouvelle édition, intitulée Eternal [Kalpa], fait référence au rituel immuable du crépuscule : cet instant où le soleil, le ciel et la mer s’embrasent avant de laisser place à la pénombre. La direction artistique de la biennale est assurée par Arin Rungjang et David Tech, accompagnés par les commissaires Hera Chan et Marisa Phandharakrajadej.
Si le vivant poursuit sa course frénétique jour après jour, il demeure soumis à cette loi universelle orchestrée par la danse des planètes. L’humanité, quant à elle, semble courir à sa perte : la violence se banalise, le dérèglement climatique fragilise un équilibre millénaire, et dans ce spectacle d’autodestruction, une fascination collective s’installe au cœur de l’agitation. Eternal [Kalpa] propose de suspendre ce destin apparemment tracé, invitant à renouer avec un temps créateur. Le terme [Kalpa], issu de la conception hindoue du temps, désigne un cycle qui s’achève dans les flammes avant qu’un nouveau monde ne renaisse à l’aube. Mais au-delà de l’engrenage frénétique des hommes et des temporalités immuables, un autre chronos, plus intime, habite la conscience humaine : il sédimente la mémoire consciente et inconsciente, guide le geste créateur, influence les choix et nourrit les récits. La notion de coexistence constitue le cœur de la Biennale de Thaïlande. Elle s’inscrit dans un monde marqué par des crises omniprésentes : dérèglement climatique, avidité et incapacité des sociétés à dialoguer. Eternal [Kalpa] invite à habiter le temps avec conscience. Les œuvres et recherches réunies — architecture, arts visuels, musique, performance, design, cinéma, littérature ou sciences — dessinent une polyphonie de rythmes qui appelle à une nouvelle manière d’écouter, de percevoir et d’apprendre. Elles interrogent notre interdépendance et questionnent la mémoire que l’humanité souhaite transmettre aux générations futures. Les catastrophes, du tsunami de 2004 à la pandémie de Covid-19, ont profondément marqué Phuket, bouleversant son économie, ses paysages et ses modes de vie. Elles ont pourtant révélé la force de la résilience humaine. Comprendre le passé et interagir avec le monde environnant avec empathie sont des ressources vitales pour exister en harmonie sur la planète. Car il n’existe pas de temporalité unique : l’être humain doit trouver le moyen de vivre en adéquation avec des temporalités multiples.
From Krabi (2018) to Phuket (2025), the Thailand Biennale moves to a new region of the country with each edition in order to highlight artistic creation and enrich curatorial practices at a national scale. This new edition, entitled Eternal [Kalpa], refers to the timeless ritual of twilight: that moment when the sun, the sky, and the sea ignite before giving way to darkness. The Biennale is conceived by Artistic Directors David Teh and Arin Rungjang, along with curators Hera Chan and Marisa Phandharakjadej.
While life continues its frenetic course day after day, it remains subject to this universal law orchestrated by the dance of the planets. Humanity, by contrast, appears to be rushing toward its own undoing. Violence becomes commonplace. Climate disruption destabilizes a millennia-old balance. Within this spectacle of self-destruction, a collective fascination takes hold at the heart of the turmoil. ‘Eternal [Kalpa]’ proposes a suspension of this seemingly predetermined fate, inviting us to reconnect with a generative sense of time. The term [Kalpa], drawn from the Hindu conception of time, refers to a cycle that ends in flames before a new world is reborn at dawn. Yet beyond the frenetic machinery of human activity and immutable temporalities, another chronos—more intimate—inhabits the human mind: it sediments conscious and unconscious memory, guides the creative gesture, shapes choices, and nourishes narratives. The notion of coexistence lies at the heart of the Thailand Biennale. It unfolds within a world marked by omnipresent crises: climate disruption, greed, and the inability of societies to engage in dialogue. ‘Eternal [Kalpa]’ invites us to inhabit time with awareness. The gathered works and research—spanning architecture, visual arts, music, performance, design, cinema, literature, and the sciences—compose a polyphony of rhythms that calls for new ways of listening, perceiving, and learning. They question our interdependence and examine the memory humanity seeks to pass on to future generations. From the 2004 tsunami to the ongoing effects of the global pandemic, disasters have left an indelible mark on Phuket, reshaping its economy, landscapes, and ways of life. Yet, these disasters have also revealed the strength of human resilience. Understanding the past and engaging with the surrounding world with empathy are vital for living in harmony on this planet. There is no single temporality; humanity must find a way to live in alignment with multiple temporalities.
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