Comment interroger les processus de constructions historiques et les héritages patrimoniaux de l’Asie du Sud-Est ? Tel est le propos de l’exposition Anywhere but Here qui se tient jusqu’au 5 novembre 2016 au centre d’art et de recherche Bétonsalon.
Durant son histoire, le Cambodge a connu de nombreux bouleversements politiques et géopolitiques (notamment avec ses pays voisins tels le Viêt-Nam ou la Thaïlande) qui ont causé une quasi refonte chronique des mécanismes d’historialisation des faits et des patrimoines. De l’intervention du protectorat français aux quatre années de guerre civile à la montée du communisme en Asie du Sud-Est en passant par le régime Khmer Rouge (1975-1979), l’exposition examine les circulations d’objets, de symboles et de figures au travers une sélection d’artistes travaillant autour de la notion de déterritorialisation.
Extrait du communiqué de l’exposition :
Les oeuvres de l’exposition se concentrent sur des mouvements en marge de moments historiques, comme les exils forcés ou les migrations volontaires d’intellectuels d’Asie du Sud-Est en France et dans ses autres colonies (Hàm Nghi, Tran Minh Duc). Les oeuvres de Thao-Nguyen Phan évoquent les incidences enfouies des ingérences de la France et du Japon sur l’évolution des paysages agricoles et des formes de déférence, alors que d’autres artistes inventent des déplacements fictionnels à partir de lieux patrimonialisés (Shooshie Sulaiman,Pratchaya Phinthong). Certains travaux retracent des trajectoires intimes d’objets ou d’anonymes (Felix González-Torres, Khvay Samnang, Vuth Lyno), tandis que d’autres prennent comme point de départ des voyages d’artistes oscillant entre la quête de perte de repère et la recherche de possibles origines manifestes (Albert Samreth, Singapore Art Archive Project, Vandy Rattana).
Source : Bétonsalon
En mettant en valeur ces pratiques, le centre d’art cherche à développer un espace de recherche où des discours d’ordre esthétique, culturel, politique ou économique puissent se confronter. Dans cette volonté de ré-articuler la recherche avec la création artistique, Bétonsalon met en place des partenariats afin d’enrichir et développer le discours soutenu par ses expositions. C’est donc le cas pour Anywhere but Here où conférences et workshops vont rythmer ces presque 2 mois d’exposition. Dans cette perspective, le centre a initié un programme de résidences organisé avec la Cité internationale des arts permettant d’accueillir artistes et commissaires étrangers pour les accompagner dans leur recherche.
Mardi 20 septembre s’est donc tenue la conférence de la co-commissaire de l’exposition Vera Mey, intitulée : « Mouvements et bouleversements en Asie du Sud-Est », une occasion pour cette dernière de partager l’état de ses recherches. La curatrice a ainsi présenté quelques démarches artistiques provenant d’Asie du Sud-Est et de leurs relations aux changements sociaux et à la production artistique, dessinant par là même une cartographie des intérêts et des interactions entre artistes et événements historiques. Petite sélection des artistes présentés lors de cette conférence :
Amanda Heng (née en 1951)
Amanda Heng se concentre sur la mémoire collective, l’identité nationale et les problèmes liés aux relations sociales au sein de la société contemporaine singapourienne. Le travail d’Amanda Heng repose sur une collaboration constante avec d’autres artistes ou non artistes, faisant constamment apparaître des cultures, disciplines et perspectives multiples.
Au début des années 90, elle introduit un discours féministe dans son travail à travers des performances. En 1999, elle fonde The Women In The Arts Collective, le premier collectif de femmes artistes de Singapour. Par le biais de conférences et de performances dans de nombreux autres pays, elle souhaite également apporter un commentaire sur le progrès du statut de la femme dans la société.
C’est dans cette période qu’elle met au point Another Woman, une œuvre réalisée avec sa mère alors qu’elle essayait de lui faire comprendre ce qu’elle faisait et pourquoi. Le point culminant de ce projet de deux ans qui lui a permis de se reconnecter avec sa mère fut montré à la première triennale de Fukuoka en 1999. Elle évoque par là même les nombreux déplacements sociaux, urbanistiques et linguistiques de son pays, diminuant l’identité sociale de sa mère, une autre femme.
Source : National Library Board
Vandy Rattana (né en 1980)
Les œuvres de Vandy Rattana contredisent les images les plus diffusées du Cambodge. Des premières datant du protectorat français aux reportages de guerre, ou encore des études sur le génocide en passant par des visions touristiques du pays, tous ces registres visuels entreprennent de représenter l’image d’un pays et d’un peuple statique. S’inscrivant entre le photojournalisme et une pratique conceptuelle, Vandy Rattana traitent autant de situations familiales ordinaires, aux conditions de travail dans les plantations de caoutchouc, ou la construction du premier gratte-ciel de la capitale, dévoilant ainsi un ensemble d’archives destiné aux générations futures.
L’œuvre Bomb Ponds trouve son origine dans les cratères creusés dans le sol cambodgien par les bombes américaines au cours de la guerre du Vietnam. La documentation disponible traitant de ces bombardements ayant laissé à l’artiste un caractère inachevé, il s’est plongé dans une étude minutieuse de l’historiographie de son pays. Il est ensuite parti en voyage dans les dix provinces ayant le plus souffert des bombardements, invitant les villageois à lui montrer les cratères, à témoigner de leur présence et à évoquer leur impact dans leur vie quotidienne actuelle.
Source : Jeu de Paume
Khvay Samnang (né en 1982)
Le travail de Khvay Samnang s’inscrit dans une réinterprétation de l’histoire, de questions actuelles controversées et de pratiques culturelles anciennes qui bien souvent sont absentes des médias et rapports officiels.
Avec Rubber Man, l’artiste s’est rendu durant plus d’une année dans la province de Rotanah Kiri, au nord-est du Cambodge, pour constater l’altération de l’environnement. Dans un acte performatif filmé, il déverse sur son corps du latex frais puis traverse les rangs des cultures forestières intensives. Khvay Samnang travaille ici la question du legs colonial et ses incidences en termes d’aménagement du territoire.
En 1884, les terres des khmères furent privatisées par l’Indochine française pour devenir des plantations d’hévéa provenant directement du Brésil. Les Français introduisirent ensuite une vision économique qui transforma la vision physique et spirituelle de la nature cambodgienne.
Source : Jeu de Paume
Venez découvrir certains de ces artistes dans l’exposition Anywhere but Here – jusqu’au 5 novembre 2016 au centre d’art et de recherche Bétonsalon.