INTERVIEW – HANNAH KREILE, GALLERIST

(English version below)

Private Institution, c’est le nouvel écrin dédié aux scènes artistiques des régions d’Asie et MENA qui vient tout juste d’ouvrir ses portes au cœur de Paris, dans le marais. Rencontre avec sa co-fondatrice Hannah Kreile, également curatrice et art advisor. 

ACA project : Pouvez-vous nous présenter votre parcours et comment vous en êtes venue à vouloir ouvrir votre espace ?

Hannah Kreile : Tout a commencé avec un livre des peintures de Maija Tabaka (née en 1939, Lettonie), que j’ai découvert vers cinq ou six ans, en grandissant à Riga (Lettonie). Son univers m’a fascinée, allumant en moi une passion pour l’art qui n’a cessée de se renforcer. Mais mon premier véritable amour était l’archéologie. Je suis venue à Paris, animée par le rêve de fouiller des ruines antiques, mais après quelques années d’études intenses, j’ai décidé de réorienter ma recherche vers l’histoire de l’art moderne et contemporain. Si mon amour pour l’archéologie a évolué, il reste une source d’inspiration importante dans mon travail aujourd’hui. Cependant, l’excitation de collaborer avec des artistes vivants — particulièrement dans un monde qui évolue à une vitesse folle — s’est avérée irrésistible. Lorsque l’opportunité de cet espace s’est présentée, nous avons su qu’il fallait agir sans tarder. Le moment était venu, et nous avons plongé sans hésiter.

Qu’en est-il de votre associé, Azad Asifovich ?

J’ai rencontré Azad il y a dix ans à Paris, au sein d’un cercle d’artistes et d’étudiants en histoire de l’art. Aujourd’hui, toujours basé à Paris, Azad est un curateur qui s’intéresse aux liens entre la pratique artistique, les contextes et leur représentation. Beaucoup de ses projets explorent des zones grises, le genre, l’art, et revisitent les références historiques (non) occidentales à travers des expériences de visite et des éléments de culture populaire comme l’animé, les séries télé ou les habitudes linguistiques. 

Votre programmation ambitionne de se concentrer sur les scènes de l’Asie globale et de ses diasporas, notamment les régions du Caucase et du Moyen-Orient, encore peu visibles en France. C’est audacieux ! Comment avez-vous découvert ces scènes artistiques ? Pourquoi choisir d’ouvrir un lieu permanent dédié à ces scènes aujourd’hui et à Paris ?

Mon intérêt pour ces scènes artistiques m’a peu à peu absorbée lors de mes études en Master en histoire de l’art, et s’est véritablement confirmé lors de ma collaboration avec Asia Now à Paris, où j’étais responsable du pôle communication en 2019. Toutefois, ce sont mes échanges personnels avec des artistes de ces régions, que ce soit lors de voyages ou à Paris, ainsi que la vision partagée avec Azad, qui m’ont véritablement poussée à aller plus loin aujourd’hui, en ouvrant un espace permanent.

Certes, nous avons une affinité particulière pour les artistes issus de ces territoires, mais notre programmation repose avant tout sur une dynamique de dialogue : à chaque exposition, nous invitons un.e artiste de ces régions et de leurs diasporas, tandis que l’autre artiste, nous le cherchons littéralement aux quatre coins du globe. Il s’agit avant tout de tisser des liens, de créer des connexions surprenantes – un véritable travail curatorial et collaboratif.

Pourquoi Paris ? Paris is always a good idea, they say. Nous capitalisons sur la dynamique positive des dernières années, et il nous paraît naturel de faire de Paris notre vitrine, d’autant plus que nous y résidons tous les deux. Toutefois, notre ambition va au-delà : notre objectif est d’étendre notre influence à l’international, en participant aux foires et en forgeant des partenariats stratégiques avec des galeries pointues et des institutions reconnues.

Une autre particularité de votre concept est de proposer des duos shows entre un.e artiste établi.e et un.e artiste émergent.e. Comment imaginez-vous ces dialogues, et comment peuvent-ils nourrir les pratiques mutuelles des deux artistes ?

Le dialogue est la base de la création, de l’existence même. Dans le contexte global actuel, il nous semble essentiel de créer un espace à dimension humaine, favorisant également un rythme plus apaisé. Chaque exposition est avant tout une rencontre entre nous quatre – nous travaillons directement avec les artistes. Pour les artistes, ce format est particulièrement percutant, car contrairement aux solo shows ou aux group shows, il s’agit ici d’une conversation plus intimiste entre deux artistes qui souhaitent rendre visible cet échange qui définit l’exposition elle-même. En plus de tout cela, dans notre petit écrin, nous n’avons pas la pression de remplir un espace, mais celle d’offrir le meilleur du meilleur. 

Aziza Shadenova, Quilt/Korpe, 2021, 200 cm x 120 cm, oil on 60 canvas boards © Aziza Shadenova. Photo courtesy of Aziza Shadenova and Private Institution 

Vous inaugurez votre espace avec un duo show de Babi Badalov et Aziza Shadenova, sur le thème du langage. Pourquoi ce duo pour votre inauguration, et comment les artistes ont-ils collaboré ensemble ?

Babi et Aziza se sont rencontrés en novembre 2024 au Mathaf: Arab Museum of Modern Art à Doha (Qatar), où ils participaient tous deux à l’exposition Seeing Is Believing: The Art and Influence of Gérôme, toujours en cours, conçue par Emily Weeks, Giles Hudson, et Sara Raza. Rassemblant près de 400 œuvres, cette exposition s’appuie largement sur la future collection du Lusail Museum, offrant un regard inédit sur l’orientalisme à travers les représentations européennes de la région MENASA, du XVIe au XIXe siècle.

Une affinité immédiate s’est créée entre eux, et l’idée de lancer Private Institution avec leur duo show, qui s’inscrit parfaitement dans l’entrelacement de leurs pratiques artistiques, a immédiatement résonné avec eux. De plus, Azad collabore avec Babi depuis plusieurs années, tandis que j’ai découvert le travail de textile d’Aziza à Asia Now, où elle avait été invitée par Slavs and Tatars en 2023.

Pouvez-vous nous parler de leur travail ?

Babi présentera une nouvelle œuvre textile de grande envergure, pensée dès l’origine comme une pièce de qualité muséale, réunissant tous les éléments essentiels de sa pratique : l’ornementation, le graphisme et une poésie visuelle emblématique de son langage. Portée par une dimension personnelle forte, elle transmet aussi un message politique puissant. Quant à Aziza, nous avons choisi ses peintures récentes, arrivées tout droit de Londres où elle vit et travaille, et les présenterons pour la première fois en France à Private Institution.

Language without Alphabet explore la capacité de l’art à connecter et à communiquer au niveau le plus primaire. Babi Badalov et Aziza Shadenova apportent des perspectives distinctes mais complémentaires dans leur démarche commune visant à se libérer des contraintes du texte. Badalov transforme l’écriture en poésie visuelle, mêlant texte et image sur des tissus, des draps et des murs. Ses œuvres sont polyglottes et universelles, redéfinissant les limites même du langage. La pratique de Shadenova, souvent qualifiée de puzzle visuel, est empreinte d’humour, d’absurde et d’ornementation. À travers des signes, des fragments de texte et des gestes, elle explore la mémoire, la féminité et les transitions complexes et en constante évolution des cultures nomades et chamaniques. Ensemble, leurs œuvres démantèlent les structures du langage, créant un espace sensoriel et intuitif pour une communication au-delà des mots.

Enfin, pour conclure cet entretien, à quoi peut-on s’attendre pour le reste de l’année à Private Institution ?

Nous avons imaginé toute une série de dialogues inattendus qui feront le lien de manière parfois surprenante et bluffante ! Nous sommes en discussion avec plusieurs artistes, collections privées et fondations. Comme on dit, ce n’est pas toujours la taille qui compte… Alors inscrivez-vous à notre newsletter pour être les premiers à découvrir ces rencontres et rester informés de nos projets !

Private Institution, 18 rue de Montmorency, Paris 3 – Contact: inquiries@privateinstitution.art

Entretien conduit par Lou Anmella-de Montalembert, février 2025


Aziza Shadenova and Babi Badalov. Photo by Dmitry Kostuykov. Photo courtesy of Private Institution. 2025

Private Institution is the new place for Asias and MENA art scenes that has just opened its doors in the heart of Paris, in the Marais district. Interview with co-founder, curator and art advisor, Hannah Kreile. 

Could you tell us a little about your background and how you came to open your own space?

It all began with a book of Maija Tabaka (b.1939, Latvia)’s paintings, which I discovered around the age of five or six while growing up in Riga (Latvia). Her world enchanted me, sparking a passion for art that has only deepened over time. However, my first true obsession was archeology. I moved to Paris with dreams of ancient ruins, but after a few years of intense study, I shifted my research focus to the history of modern and contemporary art. While my love for archeology may have evolved, it remains a significant source of inspiration in my work today. Yet, the thrill of working with living artists — particularly in a world that moves at breakneck speed — has proven irresistible. When the opportunity for this space came our way, we knew we had no time to lose. The moment was now, and we dove in headfirst.

What about your partner, Azad Asifovich?

I met Azad ten years ago in Paris, within a circle of artists and art history students. Now, still based in Paris, Azad is a curator whose work explores the intersections of artistic practice, context, and representation. Many of his projects navigate gray areas exploring themes of gender and art while reinterpreting (non)Western historical references through immersive experiences and elements of popular culture—such as anime, television series, and linguistic nuances.

Your programming aims to focus on the scenes of global Asias and its diasporas, particularly the Caucasus and the Middle East, which are still not much visible in France. What a bold move! How did you discover these art scenes? Why did you choose to open a permanent space specializing in these scenes today and in Paris?

My interest in these artistic scenes gradually deepened during my Master’s studies in art history and fully affirmed during my collaboration with Asia Now in Paris, where I oversaw communications in 2019. However, it was my personal exchanges with artists from these regions—whether through travel or in Paris—as well as the shared vision with Azad that ultimately drove me to take this next step: opening a permanent space.

While we have a particular affinity with artists from these territories, our programming is fundamentally built on dialogue. Each exhibition pairs an artist from these regions and their diasporas with another artist, whom we quite literally seek from all corners of the globe. It’s about weaving connections, fostering unexpected encounters—a true curatorial and collaborative endeavour.

Why Paris? Paris is always a good idea, as they say. We are building on the city’s momentum in recent years, and it feels natural to establish our base here—especially since we both live in Paris. But our ambitions go far beyond. Our goal is to expand internationally, participating in art fairs and forging strategic partnerships with forward-thinking galleries and leading institutions.

Another distinctive feature of your concept is that you present duo shows between an established artist and an emerging one. How do you imagine these dialogues, and how can they nourish the mutual practices of the two artists?

Dialogue is the essence of creation—the very pulse of existence. In today’s shifting global landscape, we believe it is essential to create a space on a human scale, one that embraces a more deliberate rhythm. Each exhibition is, above all, an encounter—an intimate exchange between the four of us, as we work closely with the artists. For them, this format offers a singular resonance: neither a solo show nor a group exhibition, but a conversation in its purest form—where two practices converge, revealing the dialogue that shapes the exhibition itself. Within our carefully curated setting, we are not bound by the need to fill space, but by the ambition to present the very best.

Babi Badalov, WORDless, 2024 (detail). © Babi Badalov. Photo by Private Institution. Photo courtesy of Private Institution

You’re inaugurating your space with a duo show by Babi Badalov and Aziza Shadenova, on the theme of language. Why this inaugural duo show, and how did the artists work together to prepare this exhibition? 

Babi and Aziza crossed paths in November 2024 at the Mathaf: Arab Museum of Modern Art in Doha, where they invited artists of the ongoing exhibition ‘Seeing Is Believing: The Art and Influence of Gérôme’, curated by Emily Weeks, Giles Hudson, and Sara Raza. Bringing together nearly 400 works, this exhibition draws extensively from the future collection of the Lusail Museum, offering a fresh perspective on Orientalism through European depictions of the MENASA region from the 16th to the 19th century.

An immediate connection sparked between them, and the idea of opening Private Institution with their duo exhibition—so seamlessly interwoven with their artistic practices—resonated immediately. Moreover, Azad has been collaborating with Babi for several years, while I first encountered Aziza’s textile work at Asia Now, where she was invited by Slavs and Tatars in 2023.

Could you tell us more about their works?

Babi will present a new large-scale textile work, conceived from the outset as a museum-quality piece, bringing together all the key elements of his practice: ornamentation, graphic design, and a visual poetry that is emblematic of his style. In addition to its deeply personal nature, it carries a strong political message. As for Aziza, we have selected her recent paintings, brought directly from London, where she lives and works, and will be showcasing them for the first time in France at Private Institution.

In ‘Language without Alphabet’, Babi Badalov and Aziza Shadenova bring distinct yet complementary perspectives in their shared effort to break free from the authoritarian and utilitarian confines of text. Badalov transforms writing into visual poetry, seamlessly blending text and image across fabrics, sheets, and walls. His works are polyglot and universal, redefining the very boundaries of language. Shadenova’s practice, often described as a visual puzzle, is steeped in humour, absurdism, and ornamentation. Through layered signs, text fragments, and gestures, she explores themes of memory, womanhood, and immigration in a quest for universality.

Finally, to conclude this interview, what can we expect for the rest of the year at Private Institution?

We have planned a series of unexpected dialogues that will connect in ways both surprising and striking! We are in discussions with artists, private collections, and foundations. As they say, it’s not always about size… So, sign up for our newsletter to be the first to discover these encounters and stay updated on our upcoming projects!

Private Institution, 18 rue de Montmorency, Paris 3 – Contact: inquiries@privateinstitution.art

Interview by Lou Anmella-de Montalembert, February 2025

Azad Asifovich & Hannah Kreile. Photo by Dmitry Kostuykov. Photo courtesy of Private Institution. 2025

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