by Erwan Jambet
Seoul Art Week 2023 : vague coréenne et grandes marées
Séoul se remet tout juste de l’engouement suscité par l’Art Week du mois de septembre. En l’espace de quelques jours, la capitale coréenne a inauguré la deuxième édition de Frieze Seoul, co-organisée avec la Kiaf, la Biennale Mediacity, et la Biennale d’architecture et d’urbanisme. En 2024, la 15e Biennale de Gwangju, dont la direction artistique sera assurée par Nicolas Bourriaud, devrait également ouvrir à la même période. La hallyu (vague coréenne) a atteint les rives de l’art contemporain : va-t-elle perdurer, ou faut-il déjà se préparer pour la marée basse ?
Jusqu’en 2021, le marché de l’art coréen, bien qu’en croissance constante, n’était pas comptabilisé. Il est désormais classé 7ème au niveau mondial, comparable au Japon ou à l’Espagne (1). En janvier 2023, le marché de l’art coréen était estimé à un milliard de dollars (2). Une nouvelle génération de jeunes collectionneurs, la pandémie, et l’enthousiasme pour la culture coréenne (K-pop, K-cinema, K-drama, K-food), ainsi que l’arrivée de Frieze en 2022 dans un pays possédant déjà un solide réseau d’artistes, de galeries, collectionneurs, centres d’art et manifestations prescriptrices, ont permis à la Corée de consolider son statut de hub culturel d’envergure mondiale. Les artistes coréens continuent de gagner en visibilité dans le monde occidental : la galerie Kukje a ouvert un bureau à Paris, et les expositions dédiées à l’art coréen foisonnent, notamment aux États-Unis avec une rétrospective sur l’art moderne coréen organisée au LACMA en 2023, et deux expositions majeures à New York l’année prochaine au Guggenheim (art expérimental coréen) et au MET (Collection Lee Kun-hee).
Malgré les hésitations de certaines galeries coréennes, et les doutes de quelques professionnels qui n’y voient qu’une « hype passagère » à la suite du retour de Hong Kong sous giron chinois, le continent asiatique semble suffisamment grand pour permettre l’émergence de plusieurs hubs régionaux, et la Corée paraît cocher toutes les cases. Les principales galeries d’art coréennes sont actives depuis trente à quarante ans (Hyundai, Kukje, Hakgojae, Johyun) et peuvent compter sur un solide réseau de collectionneurs. Ces dernières sont progressivement rejointes par les nombreuses galeries internationales ayant ouvert un espace à Séoul ces deux dernières années : Perrotin, KÖNIG, White Cube, Tang Contemporary, Whitestone Gallery, Thaddaeus Ropac, PACE, Lehman Maupin, Esther Schipper, Gladstone, etc. L’importance du secteur non-commercial est également primordiale, avec un soutien considérable des institutions publiques comme du secteur privé. En 2019, le ministère coréen de la Culture a annoncé avoir pour but l’ouverture de 186 nouveaux musées à l’horizon 2023, et de nombreux chaebols possèdent déjà leur centre d’art ou musée (Leeum, Arario Museum, Space K, APMA), alors même que de nouvelles ouvertures sont attendues dans les prochaines années. La scène alternative est également en plein essor, et de nombreux espaces indépendants continuent d’émerger, notamment dans des quartiers comme Euljiro3ga ou Mullae.
« Les gens parlent d’à quel point la Corée et Séoul sont « à la mode » en ce moment dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’art, du design, de la musique, du cinéma ou de la mode, mais cela ne s’est pas fait du jour au lendemain » fait remarquer Patrick Lee, directeur de Frieze Seoul. Les collectionneurs et institutions culturelles coréennes sont en effet actifs a minima depuis les années 1970, et cela fait un demi-siècle que l’art coréen gagne en visibilité internationale. Les maîtres du Dansaekhwa (peinture abstraite monochrome coréenne) tels que Choi Byung-so, Kim Tschang-yeul, Lee Ufan et Park Seo-Bo s’imposent comme les chefs de file de l’art coréen dans les années 1980, et sont suivis par une nouvelle génération d’artistes qui deviennent célèbres dans les années 1990, notamment avec la création du pavillon coréen à la Biennale de Venise en 1995, et les participations de Nam June Paik cette même année (pour le pavillon allemand), Lee Bul en 1999, ou encore Do Ho Suh en 2001.
L’effervescence suscitée par l’arrivée de Frieze à Séoul en 2022, conjuguée aux ventes record pendant la COVID, doit désormais se confronter à l’après : le facteur nouveauté s’estompe progressivement, et le marché de l’art est soumis à un ralentissement global qui impacte lourdement la Corée (d’après les estimations, les ventes de Frieze et Kiaf n’ont pas dépassé en 2023 les records de 2022). Les galeries coréennes comme internationales doivent également trouver ou renforcer leur positionnement dans ce nouvel écosystème. Kiaf, foire historique de l’art coréen, semble avoir du mal à se réinventer, avec une édition 2023 considérée par beaucoup comme de piètre qualité, et marquée par la déception de certaines galeries quant à leurs ventes, les collectionneurs ayant tendance à privilégier Frieze. Kiaf doit également faire face à la concurrence de nouvelles foires, comme The Preview, lancée en 2022 et dédiée aux galeries émergentes, et Design: Seoul, nouvelle foire d’art et de design lancée en 2023 par Art Busan, dont la dernière édition dans la deuxième ville de Corée fut saluée pour sa qualité, et fit état de ventes records. Mais pour Sunhee Choi, fondatrice de la galerie CHOI&CHOI (Cologne, Séoul), « les inquiétudes qui existaient vis-à-vis de la réputation de la Kiaf, ou d’une possible baisse de ses ventes et de sa fréquentation face à la concurrence de Frieze, ont été dissipées, car les deux foires ont de manière évidente réussies à créer une véritable synergie durant cette 2e édition de la Seoul Art Week ».
En dépit du réajustement global du marché de l’art (les ventes aux enchères ont chuté de 68 % en Corée du Sud au cours du premier semestre 2023, le ralentissement le plus important (3)) et du fait que les foires ne communiquent pas de manière exhaustive sur leurs ventes, les galeries participant à Frieze Seoul ont fait part de nombreux placements dans des collections publiques et de ventes importantes, y compris pour des montants atteignant un ou plusieurs millions d’euros. « Les œuvres de maîtres du Dansaekhwa tels que Park Seo-Bo et Ha Chong-Hyun, ainsi que celles d’artistes coréens contemporains faisant l’objet d’expositions partout dans le monde, se sont rapidement vendues, reflétant le fort niveau d’enthousiasme pour les artistes coréens dans le monde de l’art », d’après un représentant de la galerie Kukje. Parmi les présentations notables d’artistes coréens et asiatiques à Frieze Seoul, citons une installation massive et une exposition personnelle sur le stand de la G Gallery de Woo Hannah, récipiendaire l’année passée du Frieze Seoul Artist Award, la peintre américano-coréenne Wendy Park chez Various Small Fire, les artistes queers coréen et chinois Choi Haneyl et Xiadie sur le stand et à la galerie P21, une rare présentation de photographies de Han Youngsoo à BAIK ART, et une installation lumineuse de Doki Kim sur le stand bleu de la Gallery Baton. Tina Kim Gallery (New York) et CYLINDER (Séoul) ont reçu le Frieze Seoul Stand Prize, la première présentant entre autres une œuvre de Mire Lee. Les artistes coréens confirmés étaient exposés notamment à la galerie Arario, avec plusieurs œuvres de Lee Jinju, dont les acryliques sur lin déconstruisent et reconstruisent corps, objets et paysages, mais aussi par des galeries internationales, avec notamment des sculptures et dessins de Haegue Yang chez Chantal Crousel.
Outre les collectionneurs privés, le marché de l’art coréen est également soutenu par les musées publics, de nombreuses institutions nouvelles ou récemment créées ayant besoin de constituer ou renforcer leurs collections. Le budget annuel d’acquisition du MMCA par exemple (Musée national d’art moderne et contemporain, créé en 1969), frôlait les 3,5 millions d’euros en 2022, quand celui du Centre Pompidou ne dépassait pas les 2 millions d’euros. L’afflux de galeries étrangères ouvrant des espaces à Séoul ne semble pas connaître de répit, avec la nomination récente par Gagosian d’une cheffe des opérations basée à Séoul, et la réouverture par Sotheby’s de sa succursale de Séoul, fermée au début des années 2000. La stabilité politique et l’absence de taxes sur les ventes d’œuvres d’artistes vivants estimées à moins de 42.000 € sont également des facteurs d’attraction. Selon Sunhee Choi, « il faut prendre du recul vis-à-vis de cette tendance qui consiste à vendre des œuvres similaires des mêmes artistes, en les changeant uniquement de lieu. Frieze a non seulement joué un rôle en présentant des artistes étrangers sur le marché coréen, mais aussi en éveillant l’intérêt de la scène artistique internationale pour les galeries et artistes coréens ». Patrick Lee, directeur de Frieze Seoul, se montre également optimiste, expliquant que « la scène artistique et le marché de l’art en Corée seront à la hauteur des attentes élevées à l’international. J’en suis certain car la scène artistique en Corée prend appui et racines sur un talent artistique immense et des dispositifs de soutien qui sont développés depuis plusieurs dizaines d’années. L’histoire de l’art contemporain coréen est peut-être relativement récente, mais l’infrastructure du secteur de l’art est en place, et solidement ancrée ».
Alors que le marché connaît un ralentissement à la suite du momentum créé par les confinements et la première édition de Frieze, la scène coréenne est désormais sur le radar des collectionneurs et institutions internationales, et ses fondations stables sont renforcées par un important soutien du gouvernement coréen et des entreprises privées, et soutenues par l’intérêt grandissant des acteurs internationaux pour la « K-culture » et l’enthousiasme des professionnels coréens vis-à-vis de cet engouement. Le monde semble prêt à se plonger dans les arts coréens, augurant un avenir radieux pour Séoul en tant que ville d’art d’envergure mondiale.
Seoul Art Week 2023: the Korean Wave and its Tides
Seoul is still recovering from the craze of its Art Week last September. In the span of a few days, the Korean capital inaugurated the second edition of Frieze Seoul, held coincidentally with Kiaf, the Mediacity Biennale, and the Biennale of Architecture and Urbanism. Next year, the 15th Gwangju Biennale, curated by Nicolas Bourriaud, should also be opening during the same period. The hallyu (Korean wave) has reached the shores of contemporary art – will it last, or will the tide fall?
Until 2021, the Korean market, while steadily growing, could not be counted. It is now ranked 7th globally, ex-aequo with Japan and Spain (1). In January 2023, the size of the Korean art market was estimated to be approximately one billion USD (2). A new generation of young collectors, the pandemic and the global interest for Korean culture (K-pop, K-cinema, K-drama, K-food), as well as the arrival of Frieze in 2022 in a country with an established solid network of artists, galleries, collectors, art centers and institutions have cemented Korea’s status as a major cultural hub. Korean artists keep gaining visibility in the West: Kukje Gallery opened an office in Paris, and many exhibitions dedicated to Korean art are being held, especially in the United States. A survey exhibition on Korean modern art was held at LACMA earlier this year, and upcoming exhibitions in New York City include shows at the Guggenheim (Korean experimental art) and the MET (Lee Kun-hee Collection).
While some Korean galleries may seem hesitant, and some art professionals are fearing this could be nothing but a “temporary hype” after Hong Kong lost part of its appeal, it does seem that Asia is big enough of a continent and a market for several regional hubs to emerge, and that Korea does indeed have it all. Leading Korean art galleries have been around for three or four decades (Hyundai, Kukje, Hakgojae, Johyun) and can count on a solid network of collectors. They are being joined by numerous international galleries who have opened locations in Seoul in the last two years: Perrotin, KÖNIG, White Cube, Tang Contemporary, Whitestone Gallery, Thaddaeus Ropac, PACE, Lehman Maupin, Esther Schipper, Gladstone, etc. The non-commercial sector is also extremely strong, with great support from public institutions as well as the private sector. In 2019, the Korean Ministry of Culture announced a plan to open 186 new museums by 2023, and many chaebols already own art centers or museums (Leeum, Arario Museum, Space K, APMA), with new openings expected in the years to come. The alternative scene is also thriving with artist-run spaces still popping up, notably in neighborhoods like Euljiro3ga or Mullae.
“People talk about how “hot” Korea and Seoul are right now in all walks of culture, be it fine art, design, music, film and fashion. But, it’s not an overnight thing” noted Patrick Lee, Director of Frieze Seoul. Korean collectors and cultural institutions have indeed been active at least since the 1970s, and Korean art has been gaining international exposure for decades, with Dansaekhwa masters (Korean monochrome abstract painting) such as Choi Byung-so, Kim Tschang-yeul, Lee Ufan and Park Seo-Bo becoming the face of Korean art in the 1980s, and a new generation of artists rising to fame in the 1990s, especially with the establishment of the Korean pavilion at the Venice Biennale in 1995, and the participations of Nam June Paik in 1995 (representing Germany), Lee Bul in 1999, and Do Ho Suh in 2001.
After the excitement of the arrival of Frieze in Seoul in 2022, conjugated to record sales during COVID, time has now come for the aftermath: the novelty factor is fading away, and the art market is subjected to a global readjustment that is heavily impacting Korea (it is estimated that the 2023 Frieze and Kiaf sales did not top the records of 2022). Korean and international galleries in Seoul are also struggling to find or reinforce their positioning in this new ecosystem. Kiaf, the historical Korean art fair, seems to be in need of a new start, with a 2023 edition seen by many as lacking noteworthy presentations, and gallerists complaining about low sales, as visitors would have favored Frieze. Kiaf also has to face the competition of other new art fairs, such as The Preview, launched in 2022 and dedicated to emerging galleries, and Design: Seoul, a new art and design fair launched in 2023 by Art Busan, whose last fair in the second largest Korean city has been praised for its quality, and recorded great sales. But for Sunhee Choi, Founder of CHOI&CHOI Gallery (Cologne, Seoul), “concerns about the reputation of Kiaf as well as its sales of artworks and visitor attendance being weakened by Frieze were dispelled, as the two art fairs evidently created a synergetic experience in the 2nd edition of Seoul Art Week”.
In spite of the global readjustment of the art market (auction sales went down 68 % in South Korea during the first half of 2023, the largest slowdown (3)) and art fairs not providing detailed sales reports, galleries participating in Frieze Seoul reported numerous museum placements and important transactions, including those in the seven-figure region. “Works by Dansaekhwa masters such as Park Seo-Bo and Ha Chong-Hyun, as well as contemporary Korean artists who are subjects of major shows around the globe, sold out quickly, reflecting the continued level of genuine enthusiasm for Korean artists in the international art world” noted someone at Kukje Gallery. Notable presentations of Korean and Asian artists at Frieze Seoul also included a massive installation and a solo show on the G Gallery booth by recipient of last year’s Frieze Seoul Artist Award Woo Hannah, Korean-American painter Wendy Park at Various Small Fire, queer Korean and Chinese artists Choi Haneyl and Xiadie at P21, a rare presentation of photographer Han Youngsoo at BAIK ART, and a light installation by Doki Kim on Gallery Baton’s blue booth. Tina Kim Gallery (New York City) and CYLINDER (Seoul) were awarded the Frieze Seoul Stand Prizes, with the first one presenting works by Mire Lee. Established Korean artists were shown notably at Arario Gallery, with several works by Lee Jinju, whose acrylics on linen deconstruct/reconstruct bodies, objects and landscapes, but also at international galleries, with Chantal Crousel introducing sculptures and works on paper by Haegue Yang.
Aside from private collectors, the Korean art market is also supported by public museums, with many new or recently created institutions in need of collections. The yearly acquisition budget of the MMCA (National Museum of Modern and Contemporary Art), established in 1969, was nearing 3,5 million euros in 2022 (Centre Pompidou’s budget for the same year was less than 2 million euros). The influx of foreign galleries opening branches in Korea does not seem to stop, with Gagosian recently hiring a Seoul-based Head of Operations, and Sotheby’s reopening their Seoul branch after shutting it down in the early 2000s. Political stability and tax exemptions on sales of works by living artists valued at less than 42.000 € are also factors of attraction. According to Sunhee Choi, “there is a need to step back from the trend of continuously selling similar works by the same artists with only a change of location. Frieze has not only played a role in introducing foreign artists to the Korean market but also in attracting the interest of the international art scene towards Korean galleries and artists”. Patrick Lee, Director of Frieze Seoul, also seemed optimistic, explaining that “the Korean art scene and market will be able to sustain the high expectations on a global scale, because the Korean art scene is deep rooted and anchored by the tremendous artistic talent and the supporting infrastructure that has grown for decades. While the history of Korean contemporary art is fairly short, the foundations of the art world infrastructure are in place and strongly embedded”.
While the market is slowing down after the excitement of the lockdowns and first edition of Frieze, the Korean market and scene are on the radar of international collectors and institutions, and their steady base is being reinforced by support from the Korean government and private companies, along with newfound interest by international actors for Korean arts and the enthusiasm of Korean art professionals for what is coming next. This bodes well for Seoul’s future as a global art city, as the world seems ready to dive into Korean arts.
Notes
(1) The Art Market 2023, Art Basel & UBS
(2) Ministry of Culture, Sports and Tourism (MCST) and the Korea Arts Management Service (KAMS)
(3) Artprice
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