INTERVIEW – TING-TING CHENG, ARTIST

by Li Weiwei

Dans la symphonie de notre vie, nous sommes amenés à raconter des histoires, tisser des récits et écouter avec assiduité : l’artiste Ting-Ting Cheng nous explique comment la pratique artistique peut briser les préjugés systémiques ancrés dans les dynamiques de pouvoir existantes

In Life’s Symphony, We Tell Tales, Weave Sagas, and Stand as Avid Listeners: Artist Ting-Ting Cheng on How Art Practice Can Break Down Systemic Biases Embedded in Existing Power Dynamics 

Mettre des écouteurs, scanner des QR codes, chercher des indices, flâner ou attendre d’être guidé – s’immerger dans le travail de Ting-Ting Cheng n’est jamais un acte passif. Dans sa pratique narrative, Cheng, avec patience et dévotion, construit une perspective décentralisée faisant appel à des entretiens, des méthodes participatives, des recherches d’archives, des voyages sur le terrain et autres éléments engageants.

Depuis 2009, Ting-Ting Cheng a participé à plus de 20 projets de résidence dans 15 villes, devenant une grande voyageuse captivée par les interactions entre les cultures. Ses premières œuvres, comme « Still Life with Fruits » (2011), explorent les associations culturelles et sociales projetées sur les objets. Ce voyage s’est étendu à des pièces interactives audio telles que « On the Desert Island » (2017), forgeant un chemin personnel croisant des souvenirs collectifs. Dans sa récente exposition « Zoë » (2023) à Solid Art, Taipei, Cheng nous plonge dans les discours sur l’immigration, les femmes, la santé mentale et la mort, en collaboration avec Citing Bar, une plateforme consacrée aux sciences humaines de l’environnement d’un point de vue féministe. Cette démarche s’inscrit dans l’essence même de la diversification des citations et de la défense de la justice sociale. Grâce à ses pratiques continues, Cheng se réapproprie des pans de l’histoire en les entrelaçant aux perspectives personnelles des participants. Elle tisse ainsi une tapisserie culturelle intrinsèque, brouillant les frontières entre les nations.

Par un après-midi pluvieux et jusqu’à la tombée de la nuit, ACA project a discuté avec Cheng de divers aspects poignants et marginalisés, intégrés dans les dynamiques de pouvoir existantes, au sujet des immigrés, du genre, de l’identité. Lorsque nous avons abordé le sujet de l’œuvre de Cheng, une lueur d’optimisme est apparue. Selon elle, tant que la visibilité sera donnée aux voix qui ont été historiquement ignorées, ce soutien émotionnel nous protègera.

Documentation of experiencing “On the Desert Island” (2017), audio interactive experience at Stuart Hall Library, London. Courtesy of Iniva and the artist. 

Donning headphones, scanning QR codes, seeking clues, strolling, or awaiting guidance — immersing in Ting-Ting Cheng‘s work is never a passive act. In her narrative practice, Cheng, patient and devoted, constructs a decentralized perspective through interviews, participatory methods, archival research, field trips, and other engaging elements. Often, the audience is encouraged to shape their own plots, with the arbitrariness among diverse storylines creating an exclusive yet intimate experience for individual visitors to Cheng’s exhibition.

Since 2009, Ting-Ting Cheng has engaged in over 20 residency projects across 15 cities, becoming captivated by the interplay of various cultures as a frequent traveler. Cheng’s early work, like « Still Life with Fruits » (2011), explored the cultural and social associations projected onto objects. This journey extended to audio interactive pieces such as « On the Desert Island » (2017), forging a personal path intersecting with collective memories. In her recent presentation « Zoë » (2023) at Solid Art, Taipei, Cheng delves into discourses of immigration, women, mental health, and death, aligned with Citing Bar, a platform devoted to environmental humanities from a feminist perspective. This resonates with the shared essence of diversifying citations and advocating social justice. Through her continuous practices, Cheng’s re-appropriation of historical materials intertwined with the personal perspectives of participants weaves an intrinsic tapestry of culture, erasing clear lines among nationhood.

We had a conversation about various poignant and marginalized aspects upon immigrants, gender, identity embedded in existing power dynamics during a rainy afternoon until dusk. When the topic turned to Cheng’s artwork, moments of optimism still emerged. In Cheng’s words, as long as the visibility is given to voices that have been historically ignored, a warmth of emotional support enveloped us.  

Still from “Looking for Chinatown” (2015), single-channel video. Courtesy of the artist. 

ACA project : S’écartant de l’ouvrage « Last Words from Montmartre » de l’écrivain taïwanais Qiu MiaoJin, l’oeuvre « Zoë » est une pratique collaborative impliquant des immigrantes identifiées comme telles à Paris, où le personnage semi-fictionnel « Zoë » réside dans la narration. D’où est venue l’idée de poursuivre la conversation à travers ce point de vue fictif ?

Cheng: Ayant été immigrée en Europe, en particulier à Londres, j’ai toujours eu un lien étroit avec des concepts tels que la migration, la diaspora et les identités culturelles/raciales, y compris toute une série d’expériences liées à la migration. Lorsque j’ai appris que j’avais la possibilité d’effectuer une résidence à la Cité internationale des arts à Paris, j’ai immédiatement pensé à « Last Words from Montmartre », de Qiu MiaoJin. Bien que je connaisse ce livre depuis un certain temps, je n’avais pas encore eu l’occasion de le lire. Il est difficile d’expliquer pourquoi son histoire a eu une résonance particulière pour moi, plutôt que d’autres expériences de migrants.

J’ai été intriguée par « Last Words from Montmartre » pour diverses raisons, voyant Qiu MiaoJin non seulement comme une immigrée taïwanaise, mais aussi comme une femme, une lesbienne, une écrivaine et quelqu’un qui a choisi de mettre fin à ses jours à Paris. La santé mentale est également un sujet qui m’intéresse depuis longtemps. Dans mes projets précédents, je me suis penchée sur les récits du quartier chinois disparu de Limehouse, à Londres, sur les expériences de la diaspora des anciennes colonies au Royaume-Uni (« immigrants » des Antilles) et sur l’histoire d’un écrivain chinois au Royaume-Uni (« Mr Ma and Son » de Lao She). Cependant, je n’avais pas encore eu l’occasion d’explorer l’histoire d’une immigrante taïwanaise en Europe. Cette chance m’a beaucoup enthousiasmée et j’ai encore plusieurs histoires dans ma poche que j’espère développer un jour.

Je m’intéresse essentiellement aux individus et à leurs récits. Je pense que les petites actions contribuent à rendre le monde un peu plus intéressant, et ce qui est crucial pour moi, c’est de savoir si les histoires de chaque individu ont été reconnues. À la suite d’une récente résidence à Vienne, j’ai réalisé une œuvre sur le thème de la natation à laquelle ont participé cinq autres personnes. Pendant la pratique, il était important pour moi qu’elles se sentent à l’aise dans l’ensemble de notre collaboration. En fin de compte, ce sont les individus qui sont importants pour moi.

ACA project : Diverging from “Last Words from Montmartre” by Taiwanese writer Qiu MiaoJin, “Zoë” is a collaborative practice involving female-identified immigrants in Paris where the semi-fictional character « Zoë » resides within the narrative. What was the genesis of the idea to carry on the conversation through this fictional lens?

Cheng: Having once been an immigrant in Europe, particularly in London, I always have a strong connection to concepts like migration, diaspora, and cultural/racial identities, including a range of migrant experiences. When I learned about the chance to be an artist-in-residence at Cité internationale des arts in Paris, my immediate thought was of Qiu MiaoJin’s « Last Words from Montmartre. » Although I was aware of this book for a while, I hadn’t actually had the opportunity to read it at that time. It’s difficult to explain why her story specifically resonated with me, rather than other migrant experiences. 

I was intrigued by « Last Words from Montmartre » for various reasons, seeing Qiu MiaoJin not just as a Taiwanese immigrant but also as a woman, a lesbian, a writer, and someone who chose to end her life in Paris. Mental health has also been a longstanding interest of mine. In my previous projects, I delved into the narratives of the vanished Chinatown in Limehouse, London, the diaspora experiences from former colonies to the UK (« immigrants » from the West Indies), and the story of a Chinese writer in the UK (Lao She’s « Mr Ma and Son »). However, I hadn’t yet had the opportunity to explore the story of a Taiwanese immigrant in Europe. Having that chance excited me greatly, and I still have several stories in my pocket that I hope to develop someday.

Essentially, my interest lies in people and their narratives. I think small actions contribute to making the world a little more interesting, and what’s crucial for me is whether each individual’s stories have been acknowledged. Following a recent residency in Vienna, I made a work about swimming that involved 5 other participants. During the practice, it was important for me that they felt comfortable with the overall collaboration. At the end of the day, people are the ones who are important to me. 

Still from “The Moments When You Suddenly Remember You Can Swim” (2023), three-channel video installation. Courtesy of the artist. 

ACA : Dans votre récent projet, vous avez fait renaître le personnage de « Zoë » à Taïwan, ce qui lui donne une signification particulière, n’est-ce pas ? Comment avez-vous conçu cette version taïwanaise ?

Cheng : Au départ, j’étais ravie de ramener Zoë à Taïwan. Cette exposition revêt une importance particulière pour moi, car j’ai l’impression d’inviter Zoë dans son pays natal. L’installation vidéo à Solid Art reprend les mêmes vidéos que celles présentées à Paris, avec des sous-titres chinois supplémentaires et une présentation plus soignée que celle de l’open studio. En outre, les entretiens avec les artistes n’étaient disponibles qu’en format A4 en anglais dans cette version, et j’ai eu l’occasion d’en faire une publication bilingue avec le soutien du Ministère de la culture. J’apprécie le fait que la forme du livre soit en résonance avec l’origine de l’histoire – « The Last words from Montmartre (Les derniers mots de Montmartre) », un livre composé de lettres.

Par ailleurs, j’aime poursuivre le récit de Zoë, c’est pourquoi j’ai invité 9 artistes vivant à Taïwan, qui ne sont pas originaires de cette ville, à interpréter vocalement et à rejouer les interviews des 9 artistes à Paris. Ces artistes sont originaires des États-Unis, d’Indonésie, de Singapour, du Japon, de Colombie, d’Inde et de Hong Kong. Lorsque nous avons fait lire les lettres de Qiu par les artistes à Paris, ils ont en même temps partagé leurs propres histoires d’immigrés. J’ai également mené des entretiens avec les artistes ici (à Taïwan). Je me sens extrêmement chanceuse de pouvoir travailler avec des personnes aussi extraordinaires, tant à Paris qu’à Taïwan. Tous sont exceptionnellement talentueux, généreux et pleins d’histoires. La performance se déroule en deux événements en direct à Solid Art au cours de l’exposition. Bien que je n’aie pas encore finalisé mon approche des interviews des 9 artistes à Taïwan, j’aimerais trouver un moyen de poursuivre le projet, de préserver et de diffuser ces histoires, et peut-être d’en collecter d’autres au cours du processus.

ACA : In your recent project, the character « Zoë » came to life back in Taiwan, and that makes it particularly meaningful, doesn’t it? What did you do for this Taiwanese version?

Cheng: Initially, I was delighted to bring Zoë back to Taiwan. This exhibition holds a special significance for me, as it feels like inviting Zoë to her homeland. The duo-video installation at Solid Art features the same videos showcased in Paris, with additional Chinese subtitles and a more polished presentation compared to the open studio one. In addition, the performer interviews were only available as A4 prints in English whilst within this version, and here I had the opportunity to make them into a bilingual publication with the support of the Ministry of Culture. I appreciate how the book’s form resonates with the origin of the story — « The Last Words from Montmartre, » a book composed of letters.

Apart from that, I like to continue Zoë’s narrative, so I invited 9 performers in Taiwan who were not originally from Taiwan, to vocally interpret and reenact the interviews of the 9 performers in Paris. The performers here are from the USA, Indonesia, Singapore, Japan, Colombia, India, and Hong Kong. When we saw the performers in Paris reading Qiu’s letters, their own stories as immigrants were shared at the same time. In that case, I also conducted interviews with the performers here. I feel incredibly fortunate to be able to work with such amazing individuals, both in Paris and Taiwan. They are all exceptionally talented, generous, and brimming with stories. The performance unfolds as two live events at Solid Art during the exhibition. Although I haven’t finalized my approach to work with the interviews of the 9 performers in Taiwan, I would love to find a way to continue the project, preserving and disseminating these stories, and perhaps collecting more in the process. 

Documentation of the performance “As a Continuation of (Zoë) II” at Solid Art, Taipei. Courtesy of Citing Bar, Shane Liu and the artist. 

ACA : Trois décennies se sont écoulées depuis la disparition du personnage de « Zoé ». Quelles sont vos observations sur les immigrés au cours de cette période et entre les villes de Paris et de Taipei ? Quelle est votre relation personnelle avec le personnage de « Zoé » et les autres personnes qui ont joué leur rôle en racontant les histoires de « Zoé » dans ce projet ?

J’aime ces questions. À Paris, ce qui a résonné en moi, c’est ma propre expérience au Royaume-Uni – être une immigrée, se sentir involontairement liée à des notions de race, de culture ou de nationalité, et faire face à des défis et difficultés en Europe que les personnes restées dans leur pays d’origine ne peuvent pas comprendre pleinement, pensant que la vie devrait y être agréable.

Et bien sûr, je peux aussi me connecter à chacun des participants individuellement. Par exemple, l’expérience de Lok Kan dans une relation abusive, la descente de Qiiibo dans le « gouffre » alors que ses pairs progressent sur la voie, et la recherche de Yi Jhen sur l’identité des immigrés de la deuxième génération sont autant d’aspects qui me touchent. Ce qui m’a intrigué, c’est la diversité et le chevauchement des histoires de chacun ; malgré leurs différences, nous pouvions tous trouver quelque chose en commun.

L’interview des artistes immigrés à Taïwan a été une autre expérience captivante. Bien que je ne me considère pas comme une immigrée à Taïwan, je suis retournée dans ce pays après avoir vécu 11 ans en Europe. Je peux m’identifier à certains aspects de la vie dont ils ont parlé, comme le fait que la vie ici peut être plus simple, avec un coût de la vie moins élevé, ce qui offre plus d’opportunités de faire bouger les choses avec moins de pression financière, des choses que l’on ne trouve probablement pas ailleurs. Je ne veux pas dire que tout est parfait ici (nous sommes tous deux conscientes que la vie à Taïwan comporte son lot de difficultés), mais je crois sincèrement que, parfois, les gens ne parviennent pas à en apprécier les aspects positifs tant qu’ils n’ont pas fait l’expérience de vivre à l’étranger. J’ai également tissé des liens personnels avec chacun d’entre eux, mais comme je n’ai pas rendu leurs entretiens publics, je garderai cela pour moi pour l’instant afin de ne pas gâcher la surprise du projet à venir.

La façon dont je m’identifie à Qiu (ou je préfère encore utiliser le terme « Zoë » comme mentionné dans le livre) est une autre longue histoire. J’ai lu « The Last Words of Montmartre » un nombre incalculable de fois, en anglais et en chinois, à tel point que j’avais l’impression de me souvenir de chaque ligne, de chaque date et de chaque endroit qu’elle avait visité. Au cours de mes recherches, j’ai établi un emploi du temps détaillant les événements qu’elle a mentionnés chaque jour. Chaque fois que je relisais le livre, je ne pouvais m’empêcher de penser que la fin de l’histoire aurait pu être différente si quelque chose s’était produit entre ces dates ou à ce moment précis de la chronologie. J’avais l’impression de pouvoir intervenir, comme si le livre était un flux en direct de son parcours de guérison ou de suicide, comme s’il était encore temps de faire la différence. Pendant ma résidence à Paris, j’ai envisagé de lire « Afterwards » de Lai Xiangyin et « The Diaries of Qiu MiaoJin », les livres associés aux événements entourant le suicide de Qiu. J’ai toutefois décidé de ne pas le faire avant d’avoir terminé ce projet (je lis actuellement « Afterwards »). La raison en est que j’avais trop d’appréhension à aborder l’histoire comme si elle était réelle. J’ai essayé de considérer « The Last Words of Montmartre » comme un travail de fiction parce que je crois qu’il serait injuste pour Qiu ou pour quiconque l’a vraiment connue de prétendre avoir ce contact personnel. Je ne la connais pas et ne la connaîtrai jamais. Ma compréhension se limite à « Zoë » telle qu’elle est dépeinte dans le livre. Reconnaître que l’histoire est « réelle » aurait été émotionnellement difficile pour moi, en particulier pendant la phase de recherches sur le projet. Il va sans dire que « The Last Words of Montmartre » est un livre bouleversant. En le lisant, je me suis retrouvée à m’identifier un peu plus au point de vue de Xu, probablement parce que j’étais la lectrice, la destinataire des lettres. En tant que Taïwanaise, immigrée en Europe, femme et ayant eu des relations avec des personnes identifiées comme des femmes, je trouve naturellement beaucoup de résonances dans ce qu’a écrit Qiu. Cependant, il est important de noter que cela n’est pas en accord complet avec tout ce en quoi « Zoë » croyait.

ACA : Three decades have passed since the demise of the character “Zoë.” What are your observations regarding immigrants over this time span and between the cities of Paris and Taipei? How do you personally relate to the character “Zoë” and the other individuals who played their roles in portraying tales of “Zoë” in this project?

I love the questions. In Paris, what resonated with me was my own experience in the UK – being an immigrant, feeling involuntarily tied to notions of race, culture, or nationality, and facing challenges in Europe while people back home might not fully comprehend the difficulties, thinking that life should be all good there.

And of course, I can also connect with each of the participants individually. For instance, Lok Kan’s experience with an abusive relationship, Qiiibo’s descent into the « pit » while her peers progressed on the track, and YiJhen’s research regarding the identity of the second-generation immigrants are all aspects that resonate with me. What intrigued me was the diversity and overlap in everyone’s stories; despite their differences, we could all find something in common. 

Interviewing the immigrant performers in Taiwan provided another captivating experience. Although I don’t identify myself as an immigrant in Taiwan, I did return to Taiwan after living in Europe for 11 years. I can relate to certain aspects of life they talked about, such as how life here can be simpler with a lower cost of living, providing more opportunities to make things happen with less financial pressure that are things you probably don’t find elsewhere. I’m not suggesting everything is perfect here (we’re both aware that living in Taiwan has its share of challenges), but I genuinely believe that sometimes people fail to appreciate the positive aspects without experiencing life abroad. There are also personal connections I have with them individually, but since I haven’t made their interviews public, I’ll keep that to myself for now to avoid spoiling the surprise of the upcoming project. 

The way I connect with Qiu (or I still prefer using the term « Zoë » as mentioned in the book) is another extensive tale. I’ve read « The Last Words from Montmartre » countless times, in both English and Chinese, to the extent that I felt I could recall every line, every date, and every location she visited. During my research, I made a timetable detailing the events she mentioned on each day. Whenever I revisited the book, I couldn’t help but contemplate how the story’s ending could be different if something happened between those dates or at that specific point in the timeline. It felt as though I could intervene, as if the book was a live stream of her healing or suicidal journey, as if there was still time to make a difference. During my residency in Paris, I considered reading both « Afterwards » by Lai Xiangyin and « The Diaries of Qiu MiaoJin, » the books associated with the events surrounding Qiu’s suicide. However, I opted not to do so until I complete this project (I am currently reading « Afterwards » these days). The reason being, I was too apprehensive about approaching the story as if it was real. I attempted to regard « The Last Words from Montmartre » as a work of fiction because I believe it would be unjust to Qiu or anyone who truly knew her if I pretended to have that personal contact. I don’t know her, and I never will. My understanding is confined to Zoë as portrayed in the book. Acknowledging the story as « real » would also be emotionally overwhelming for me, especially during the research for this project. It goes without saying that « The Last Words from Montmartre » is a weighty book. While reading it, I actually found myself identifying with Xu’s perspective a bit more, likely because I was the reader, the recipient of the letters. As a Taiwanese, an immigrant in Europe, a woman, and someone who has had relationships with individuals identified as women, I naturally find a lot of resonance with what Qiu wrote. However, it’s important to note that this doesn’t imply a complete agreement with everything Zoë believed in. 

Installation view of “Zoë” (2023) at Solid Art, Taipei. Courtesy of Citing Bar, Solid Art and the artist. 

ACA : Se confronter à une expérience fictive poignante et la relier à des scénarios de la vie réelle peut être une tâche ardue. Votre œuvre et celle de Qiu sont lourdes, car elles abordent des aspects profonds de la vie, mais elles n’en sont pas moins empreintes d’une résilience tangible. Comment trouvez-vous l’équilibre entre la description d’une facette spécifique de la réalité et l’expression de votre propre attitude à son égard ?

Cheng : Dans mon dialogue avec Devika, le concept de « courage » est apparu lorsqu’elle a évoqué le suicide de Zoë. De ce point de vue, la mort possède une force considérable. Je crois qu’il est important d’en parler avec précaution, c’est pourquoi j’ai essayé d’éviter de représenter le processus de suicide sous un angle idéalisé ou romantique dans ma pratique. Je m’efforce plutôt d’attirer l’attention sur la santé mentale, en créant un espace où les individus peuvent trouver de la compagnie et de la compréhension grâce à mon travail.

Cela me rappelle également le film « I Am Not Your Negro » et la façon dont une partie du récit explore le rôle de l’empathie en tant que pont favorisant la compréhension sociale. Dans le cadre d’un autre projet, après le décès de mon père, j’ai interviewé des travailleurs religieux à Taitung, pour leur demander quelle était la relation entre la religion et la santé mentale – comment leurs pratiques aidaient les croyants à faire leur deuil. Je me souviens qu’Uwe, qui travaillait pour une église, m’a dit qu’il croyait en l’importance de partager sa vulnérabilité avec les autres. C’est quelque chose qui m’est resté. Consciente de la complexité de la vie pour chacun et du défi que représente le fait de parler ouvertement de ses fragilités personnelles, j’essaie, à travers mon travail, de faire passer le message qu’il est normal d’accepter sa vulnérabilité.

ACA : Confronting a poignant fictional experience and connecting it to real-life scenarios can be a daunting task. Both your work and Qiu’s carry a weight, delving into profound aspects of life, yet there’s a tangible resilience present. How do you navigate the balance between depicting a specific facet of reality and expressing your own attitude towards it?

Cheng: In my dialogue with Devika, the concept of « courage » emerged as she touched upon Zoë’s suicide. From this vantage point, death possesses a considerable force. I believe it’s important to talk about it carefully, so I tried to avoid the depiction of the suicide process with an idealized or romanticized lens in my practice. Instead, my focus is on steering attention towards mental health, creating a space where individuals find companionship and understanding through my endeavors. 

It also reminds me of the film « I Am Not Your Negro » and how part of its narrative explores the role of empathy as a bridge nurturing social comprehension. For another project of mine, I was interviewing religious workers in Taitung after my father’s passing, asking them about the relationship between religion and mental health – how their practices help their believers to grieve. I remember Uwe, someone who worked for a church, telling me that he believed in the importance of sharing vulnerability with others. That’s something that stayed with me. Recognizing life’s complexity for everyone, and the challenge of openly discussing personal fragilities, I try to convey the message that it is okay to embrace one’s vulnerability through my work. 

Documentation of the performance “As a Continuation of (Zoë) II” at Solid Art, Taipei. Courtesy of Citing Bar, Shane Liu and the artist. 

ACA : Personnellement, j’ai le sentiment que le son occupe une place importante dans vos œuvres, quelques soient les médiums – la photographie, l’image en mouvement, la performance, la publication. L’intimité véhiculée par la voix, souvent transmise par des écouteurs, ajoute une couche surréaliste aux composantes visuelles de vos pratiques. Quelles sont vos intentions lorsqu’il s’agit d’incorporer le son dans votre travail ?

En effet, j’ai une profonde fascination pour le son, car je le perçois souvent comme un élément sous-estimé dans les images en mouvement et les diverses formes d’art. Dans nombre de mes projets, j’ai travaillé avec des enregistrements binauraux. C’est pourquoi je trouve que le terme « art visuel » ne résume pas entièrement mon travail.

Parfois, lorsque je remplis des demandes de projet, je dois choisir une catégorie de support, et « art visuel » semble souvent être le choix le plus approprié. En réalité, mon intérêt se porte davantage sur des questions subjectives, sans considération particulière pour les arts visuels. J’opte pour l’approche la plus confortable pour moi, comme j’imagine que la plupart des gens le feraient.

Je m’intéresse actuellement à la pratique de l’enregistrement binaural et je trouve que son attrait réside dans sa capacité à créer un voyage stéréoscopique en trois dimensions pour l’auditeur, évoquant la sensation d’être là, dans la pièce, avec les interprètes ou les instruments. Cette expérience immersive donne au public une perception distincte de la trajectoire des sons, transformant l’abstrait en quelque chose de plus tangible, comme s’il s’agissait d’une conversation personnelle avec vous, et personne d’autre. Le concept d’isolement et la séparation spatiale entre l’auditeur et les personnes qui l’entourent ajoutent, à mon avis, une couche de complexité intrigante à l’œuvre.

ACA: Personally I feel sound holds a significant place within various mediums, encompassing photography, moving image, performance, and publication among your works. The intimacy conveyed through the voice, often delivered via headphones, adds a surreal yet palpable layer to the visual components in your practices. What specific influence do you intend to create, especially when it comes to incorporating sound?

Right, I have a deep fascination with sound, as I often perceive it as an underestimated element within moving images and diverse art forms. In many of my projects, I worked with binaural recording. This is why I find the term « visual art » doesn’t entirely encapsulate my work.

On occasion, when completing project-applications, I’m faced with selecting a medium category, and « visual art » often appears to be the most fitting choice available. In truth, my interest lies more in subjective matters initially, without a specific consideration for the material. I opt for an approach that aligns with my comfort, much like I imagine most people would.

I am currently into binaural recording practice and find the allure of it lies in its capacity to craft a 3-D stereo sonic journey for the listener, evoking the sensation of being right there in the room with the performers or instruments. This immersive experience grants the audience a distinct perception of the sounds’ trajectory, transforming the abstract into something more tangible, as if it were engaging in a personal conversation with you, and no one else. The concept of isolation and the spatial separation between listener and people around, in my view, adds an intriguing layer of complexity to the piece. 

Installation view of “Zoë” at Solid Art, Taipei. Courtesy of Citing Bar and the artist. 

ACA : Compte tenu de la dimension historique de vos pratiques, pensez-vous qu’une connaissance préalable du contexte permettrait de mieux comprendre votre travail ? Lorsque vous impliquez le public dans la réimagination des archives et de la recherche, quels éléments particuliers revêtent de l’importance pour vous ?

De manière générale, je pense que le fait d’avoir un certain niveau de connaissances sur l’œuvre améliore la compréhension et l’appréciation du public, un principe qui s’applique à toutes les œuvres d’art. Naturellement, il incombe aux artistes ou aux expositions de fournir les informations nécessaires, soit par le biais des œuvres elles-mêmes, soit par le biais des commentaires des commissaires et des textes d’exposition. Même avec ces informations, chacun interprétera chaque œuvre différemment en fonction de ses connaissances et de ses expériences de vie, et je trouve cela parfaitement acceptable.

Le fait de connaître ou non l’écrivain Qiu peut conduire à des interprétations différentes de l’œuvre « Zoë », mais les deux points de vue sont valables.

Pendant la représentation de « Zoë », par exemple, on attendait des interprètes qu’ils établissent un contact visuel avec le public. Dans la version vidéo, j’ai préféré installer l’écran à hauteur des yeux, ce qui permet au public de s’asseoir et de s’engager avec les acteur.ice.s comme s’il s’agissait d’une conversation en tête-à-tête. J’espère que cette approche aidera le spectateur à agir comme un participant actif, en recevant des lettres de « Zoë ». Au-delà de la simple présentation de détails d’archives, il est essentiel pour moi de donner à l’œuvre une résonance émotionnelle.

ACA : Given the historical dimension of your practices, do you believe that acquiring some background knowledge beforehand would enhance the understanding of your work? When involving the audience in the reimagining of archives and research, what particular elements carry importance for you?

Generally, I think having a certain level of knowledge about the artwork enhances the audience’s understanding and appreciation, a principle that holds true for all artworks. Naturally, it’s the responsibility of artists or exhibitions to furnish the necessary information, either through the artworks themselves or through curatorial statements and exhibition texts. Even with this information, individuals will still interpret each piece differently based on their unique knowledge and life experiences, and I find that perfectly acceptable. 

Whether someone is familiar with the writer Qiu or not may lead to different interpretations of the work « Zoë, » but both perspectives are valid.

For me, I aimed to acknowledge the presence of the audience. During the performance of « Zoë, » for instance, the expectation was for performers to establish eye contact with the audience. In the video version, I endeavored to install the screen at eye level, allowing the audience to sit and engage with the actresses as if partaking in a one-on-one conversation. Hopefully this approach helps the viewer act as an active participant, receiving letters from « Zoë. » More than simply presenting archival details, it’s vital for me to shape the work into something that can resonate emotionally. 

Documentation of the performance “A turning away from debates that have not been concluded” (2019) at CFCCA, Manchester. Courtesy of CFCCA and the artist. 

ACA : Dans un contexte d’inondation d’informations et de contraintes imposées par des niveaux d’éducation et des expériences personnelles diverses, nombre de vos œuvres engagent des conversations sur la diversité. Comment envisagez-vous d’aborder et de briser les préjugés entre les cultures concernant les différents récits historiques ?

Nos perceptions des différentes cultures découlent souvent de l’éducation, des médias, de diverses formes d’information et des expériences personnelles, généralement d’un mélange de ces facteurs. Je pense qu’il existe de nombreuses façons de remettre en question et de briser les stéréotypes existants, ce qui est essentiel. Je pense que nous avons tous des histoires et que nous sommes tous des conteurs ; en même temps, nous sommes tous des auditeurs. Il est essentiel de considérer chaque personne et chaque récit comme uniques, sans que personne n’ait le fardeau de représenter un groupe plus large. Chaque individu est multidimensionnel et la vie s’avère souvent plus complexe que nous ne le croyons.

Nous existons dans une réalité hantée par les fantômes du passé, où le présent est un mélange de ce qui fut et d’événements en cours. Je m’intéresse particulièrement à une approche qui consiste à s’engager dans l’histoire, en choisissant de mettre en scène des événements documentés, comme dans « A Turning Away from Debates That Have Not Been Concluded » (2019) et « Zoë » (2023). Le pouvoir des mots se manifeste dans l’exécution d’un acte de langage, une rencontre brève mais percutante qui met les interprètes dans la peau de quelqu’un d’autre.

Récemment, j’ai lancé un projet impliquant quatre travailleurs migrants à Tainan. Dans cette œuvre, j’invite le public à communiquer avec moi par messagerie instantanée, en adoptant le rôle des travailleurs migrants. J’ai demandé à quelques amis de tester l’œuvre avant l’exposition. Ils l’ont trouvée intrigante et ont rapidement reconnu que vivre de telles vies serait probablement assez épuisant. Le projet est situé dans une zone touristique, ce qui a conduit à une exploration de lieux amusants recommandés par les travailleurs avec lesquels j’ai collaboré, et nous avons même créé un guide touristique pour l’exposition. Au cours de ce voyage, j’ai fait un effort conscient pour considérer ces collaborateurs comme des individus uniques avec leur propre personnalité, en évitant délibérément la tendance à les considérer uniquement comme des représentants des « travailleurs migrants ». Il s’agissait d’un petit effort personnel pour humaniser ces personnes que j’ai appris à connaître, en reconnaissant mes propres limites potentielles en matière de préjugés.

ACA: Amidst an inundation of information and the constraints imposed by various educational backgrounds and personal experiences, many of your works engage in conversations about diversity. How do you envision tackling and breaking down biases across cultures regarding different historical narratives?

Our perceptions of various cultures often stem from education, media, diverse forms of information, and personal experiences, usually a blend of these factors. I believe there are numerous ways to challenge and break down existing stereotypes, which is crucial. I guess we all have stories, and we are all storytellers; at the same time, we are all listeners. It’s essential to view each person and every narrative as unique, with no one burdened with representing a broader group. Every individual is multi-dimensional, and life, as it turns out, is more intricate than we often perceive.

We exist in a realm intertwined with the ghost of the past, where the present is a blend of what has passed and ongoing occurrences. I am particularly into an approach to engaging with history, choosing to enact documented events, such as in « A Turning Away from Debates That Have Not Been Concluded » (2019) as well as « Zoë » (2023). The potency of words manifests in the performance of a speech act, a brief yet impactful encounter that puts the performers in someone else’s shoes. 

Recently, I initiated a project that involved 4 migrant workers in Tainan. In the work, I invite the audience to communicate with me through instant messaging, adopting the roles of the migrant workers. I asked a couple friends to test the work for me before the exhibition. They found it intriguing and soon acknowledged that living such lives would likely be quite exhausting. The project site is located in a tourist spot, prompting an exploration of fun places recommended by the workers I worked with, and we even made a tour guide as part of the presentation. In navigating this journey, I made a conscious effort to regard these collaborators as unique individuals with their own personalities, deliberately avoiding the tendency to see them solely as representation of the “migrant workers.” It was a small, personal endeavor to humanize these people I got to know, acknowledging my own potential limitations of prejudice. 

Documentation of the pamphlet “Steel F4’s Travel Guide to Southern Taiwan” (2023). Courtesy of Connie Huang, Minshan Co and the artist. 

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