INTERVIEW – CHOU CHING-HUI

By Li Weiwei

Le déploiement synchronisé de facteurs virtuels et visuels ouvre la voie à un potentiel infini pour les processus créatifs liés à l’expérience. L’ensemble conduit à une intégration totale entre les événements réels et leurs manifestations constantes.’ – CHOU Ching-hui 

‘Synchronistic unfolding of virtual and visual factors leads to an infinite potential for creative processes of experience, leading to integration where there is no detached relationship between the actual events and their constant happenings.’ – CHOU Ching-hui 


Portrait of CHOU Ching-hui. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.

La série photographique Animal Farmde CHOU Ching-hui (né en 1965 à Taïwan), présentée pour la première fois à la Biennale de Taipei (Taiwan) en 2014, n’est pas une simple narration de la vie urbaine, mais une matrice d’événements factuels (en référence à sa scène dans un zoo) et théâtraux, incarnant ainsi le double aspect absurdité / actualité dans la vie. Entraînés dans une galaxie mystérieuse composée d’images aux détails multiples et de scénarios surréalistes, le spectateur peut se retrouver perdu face au travail de l’artiste. Il se demande alors: « Est-ce réel ? « , « Il doit y avoir beaucoup de retouches, non? ». À une époque où la fabrication d’images est de plus en plus accessible, la production photographique de CHOU, basée sur la recherche, est manifestement peu familière voire inconcevable pour bon nombre d’entre nous. Cependant, le travail du photographe reste bien accueilli et présenté dans de nombreux pays dont l’Allemagne, l’Australie, Singapour, le Canada, l’Israël et bien d’autres. Fin 2022, son exposition personnelle intitulée ‘Animal Farm‘ au musée Oriente de Lisbonne, Portugal, fut prolongée de deux mois à la demande générale. Les images à grande échelle sont un mélange de la vie locale à Taipei couplée à son esthétique orientale traditionnelle, entremêlées avec des fragments en apparence absurdes mais authentiques que l’on retrouve dans le quotidien urbain. Les récits fantastiques combinés à la réalité empêchent le spectateur d’entrer dans la scène sans s’identifier comme participant impliqué. Avec la consommation visuelle intensive qui entraîne la futilité de l’image, cette conversation avec CHOU Ching-hui peut éventuellement nous aider à réexaminer la densité photographique. 

‘Animal Farm’, a photography series by CHOU Ching-hui (b. 1965, Taiwan) which premiered at Taipei Biennial (Taiwan) in 2014, is not mere a narrating of urban life, but a matrix of factual (referring to its scene at a zoo) and theatrical events. Thereby embodying the dual aspect of absurdity and actuality in living. Drawn into the mysterious galaxy composed of images with multiple details and surreal scenarios, viewers often get lost and come up with comments such as: « Is it real or not? », or « There should be lots of post-editing work in it, no? ». In a time when image-making is increasingly accessible, CHOU’s consistent research-based approach of photo production is obviously unfamiliar and even unbelievable for many of us. However, CHOU’s work is well-received and has been in exhibitions across countries including Germany, Australia, Singapore, Canada, Israel and more. In late 2022, CHOU Ching-hui’s solo exhibition ‘Animal Farm’ was presented by Oriente Museum in Lisbon, Portugal. The show was extended for 2 months due to popular demand. The large-scale images are a mixture of local lifestyle in Taipei and its traditional oriental aesthetic, entangling with seemingly absurd yet authentic fragments found in the daily urban. Narratives of fantasy in combination with reality makes it impossible for viewers to enter the scene without making their own identifications as implicated participants. Images are becoming frivolous due to fast visual consumption, the density of photography can perhaps be re-examined through the following conversation with CHOU Ching-hui. 



CHOU Ching-hui, ‘Animal Farm’ series, 2014. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
ACA project : Parlons d’ ‘Animal Farm’, d’où vous est venue cette idée ? 

CHOU Ching-hui : J’ai préparé des expositions tout au long de l’année 2010 après avoir réalisé ‘Wild Aspiration: the Yellow Sheep River Project’ (2009). J’étais plutôt déprimé et épuisé, n’ayant aucune ligne de mire pour l’étape suivante. Lors d’une visite au zoo de Taipei, je me suis retrouvé face à un koala qui se blottissait contre un arbre, sans rien faire, ce que je trouvais assez ridicule. Cela m’a rappelé les transports en commun, leurs passagers avec écouteurs dans les oreilles et téléphones à la main. La plupart du temps, ils sont indifférents les uns envers les autres, pensant probablement à leurs propres affaires ou attendant simplement leur arrêt. C’est le koala avec ses yeux ternes qui m’a incité à créer le scénario d’un bus dans la cage d’un zoo, avec des humains enfermés dedans – j’ai donc pensé à ‘Animal Farm’.  

Les cages du zoo sont visibles, alors que la servitude de l’homme n’a pas de forme. Mon défi était de représenter « le visible » comme « invisible », la série était une tentative de reproduire « l’imaginaire » avec des personnages. J’ai suivi cette direction puis lancé le projet. 

ACA project : Let’s talk a bit about ‘Animal Farm’, what sparked this idea?

CHOU Ching-hui : I had been on the run preparing exhibitions throughout 2010 after I got ‘Wild Aspiration: the Yellow Sheep River Project’ (2009) done. I was pretty down and exhausted, having no shooting plan for the next step.  While wandering at a zoo in Taipei, I found a dumb koala hugging a tree listlessly. It reminded me of the commuters with their headsets in ears and hands on holders.  Most of the time, they were a bit ignorant towards each other, probably thinking about their own businesses, or simply waiting to get off the subway. It was the koala with dull eyes that inspired me to create a scenario of a commuting coach in a zoo’s cage with humans trapped in it – I initially thought of ‘Animal Farm’. 

Cages in zoos are visible, whilst bondage to mankind has no shape. In this case, my challenge was to represent ‘the visible’ as ‘the invisible’, this series was an attempt to reproduce ‘the imaginary’ with figures. I followed this direction accordingly and got the plan started. 

Avez-vous réussi à rentrer dans un vrai zoo? 

Oui. Dès que l’idée m’est venue, j’ai fait en sorte que le projet se déroule dans un vrai zoo. Il n’a pas été facile d’en trouver un avec lequel collaborer, et les négociations avec leurs équipes d’exploitation ont été très laborieuses. J’avais travaillé sur la médiation pendant deux ans, sans résultats. 

Une autre chose à prendre en compte fut la cage : « Quelles sont les cages pour les humains ? » par exemple, ou « Que peut-on dire sur les structures de ces cages ? ». Au XXIe siècle, les humains ont été contraints de s’inscrire dans divers contextes. Pourtant, nous avons été constructeurs de ces cadres, pour finir prisonniers. Il nous semblait avoir plus de possibilités et contrôle sur ces inventions, mais les problèmes sont vite apparus: lutte pour l’accès aux ressources, pollution et conflits entre régions, religions et ethnies. Sommes-nous réellement capables de gérer ces problèmes ? J’en doute. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant d’appliquer la figure de la cage comme représentation de notre dilemme: comment vivre sous menaces imminentes. 

Did you make it into the zoo, a real one? 

Yes, I did. I had been trying the possibilities to make it happen in an actual zoo since the idea came up. It wasn’t easy to find a zoo to cooperate with, besides it was time-consuming to negotiate with the zoo’s operation team. I had worked on its mediation for two years and didn’t really get any response. 

Another thought was mainly about the cage: « What are the cages for humans? » or « What can be discussed under the structures of cages? ». Living in the 21st century, humans have been reinforced within various frameworks, we were the ones who built up the frames, as well as the ones who were imprisoned. It seemed like we had more options upon these lifestyle inventions, however there were problematic issues afterwards: fights for resources, environmental pollution and conflicts among regions, religions and ethnicity. Are we actually capable of handling these issues? I doubt it. Therefore, I thought it would be interesting to apply the « cage at the zoo » figure to embody the dilemma of our living under imminent threat. 


CHOU Ching-hui, ‘Animal Farm’ series, 2014. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
Dans de nombreuses conversations sur votre travail, nous revenons à votre intérêt pour le photojournalisme et son lien avec un discours social plus large. Comment cela s’est-il manifesté ? 

Au début, j’ai commencé à prendre des photos en autodidacte, utilisant tout ce que je trouvais à Taïwan.  Entre l’obtention de mon diplôme de l’École Mondiale de journalisme1 et mon service militaire obligatoire, je conduisais un taxi tout en suivant des cours privés de photographie guidés par Juan I-Jong. La plupart de nos sessions relevaient de la formation en chambre noire et on produisait des photos, continuellement, pendant 8 semaines. Lorsque j’avais envie de souffler un peu pour éviter la répétition, je me réfugiais dans la collection de catalogues photos de Juan. Je lisais des livres dans son studio, ces lectures étaient précieuses à Taïwan dans les années 902. Les œuvres des photographes tels que Sebastiao Salgado et Josef Koudelka m’attiraient tellement que je cherchais à me rapprocher d’eux. Un sentiment de toucher similaire à une impulsion d’appuyer sur un déclencheur, ou de développer des pellicules m’envahissait. La lecture au studio de Juan a été l’expérience la plus mémorable de ces cours. Cela m’a inspiré d’autres aspects de la photographie en plus du photojournalisme classique, et m’a conduit vers un monde de plaisir et de potentiel. 

Pendant mon service militaire à l’Hôpital Général de l’Armée de l’Air, on m’a demandé de prendre des photos de leurs documents, et parfois de leur processus d’opération, en raison de mes études photographiques. Ce qui m’a permis de m’exercer. Plus tard, lorsque la loi martiale a été abrogée en 1987, Taiwan a connu un boom dans l’industrie des médias ainsi qu’un développement social. Heureusement, j’ai obtenu un poste de photojournaliste un mois avant ma retraite du service militaire. Par la suite, j’ai été occupé à prendre des photos dans la rue ou à développer des films dans les journaux. J’ai progressivement réalisé que je ne serais pas en mesure de gérer un projet à long terme en plus de mon travail de photojournaliste. L’idée de créer quelque chose en réponse à la société n’a jamais cessé de m’occuper et m’a poussé vers l’art. J’ai commencé par quelques projets de reportage après mes heures de bureau. À l’époque, Tsai Ming-de, qui dirigeait l’équipe photo, m’a recommandé le Sanatorium Lo-Sheng, un lieu pour les lépreux. La lèpre a une longue histoire de discrimination : les patients étaient considérés comme hantés ou maudits. Je pensais que l’illusion de la maladie était plus terrifiante que la maladie elle-même, et j’espérais en dire plus sur leur vie quotidienne afin que les gens se méprennent moins à leur sujet. 

Les photos de Lo-Sheng ont été publiées dans une collection, ‘Out of the Shadows(1995), l’une de mes œuvres majeures. Cette série a constitué un progrès thérapeutique qui m’a permis de repositionner la photographie dans ma vie. Il y avait un fossé entre ma profession et ma carrière idéale, j’ai passé du temps à combler ce fossé et à rapprocher de ce que je voulais poursuivre. 

In many discussions about your work, your interest in photojournalism and its connection with broader social discourse was mentioned, how did it start and what generated it? 

At the very beginning, I basically picked up the skills of picture-taking by myself using anything I could find in Taiwan.  Between my graduation from graduation from the World College of Journalism1 and my mandatory military service, I drove a taxi while taking private photography tutorials guided by Juan I-Jong during my breaks. Most of our courses were trainings in a darkroom, we made photos constantly for 8 weeks. When I felt like taking a breath away from the repetition of this exercise, the photo catalogue of Juan’s collection was an alternative for me. I read books at his studio, those readings were precious in Taiwan during the 90s2 . Works by photographers such as Sebastiao Salgado and Josef Koudelka were so attractive to me that I wanted to get closer to them: a touching feeling similar to an impulsive sense generated my acts of pressing a shutter, or developing films. Reading at Juan’s studio was the most memorable experience during tutorials, it inspired me with other aspects of photography, besides mainstream photojournalism, leading me to a world of fun and potential. 

During the military service at the Ari Force General Hospital, I was assigned to take pictures of their documentation papers and sometimes their process of operations due to my previous photo-study background, it was a chance to practice. Later on, Taiwan witnessed a boom in the media industry along with its social development when martial law was superseded in 1987. Fortunately, I got a position as a photojournalist one month before my retirement from military service. Afterwards I was busy either taking pictures on the street or developing films at newspaper offices. I gradually realised that I wouldn’t be able to manage a long-term project with my photojournalism job. The thought of creating something in response to society never stopped, and drove me to the path of making art. I started with some feature-projects after my office hours. At that time, Tsai Ming-de who was head of the photo team, referred Lo-Sheng Sanatorium to me,  a place  for lepers. Leprosy has a long history with discrimination: the patients were  considered either haunted or cursed. I thought the illusion of disease was more terrifying than the disease itself, I was hoping to share more about their daily life so that people had less misunderstandings about them.  

Photos of Lo-Sheng  were produced as a collection, ‘Out of the Shadows’ (1995), one of my major works. This series was a progress of therapy, allowing me to relocate  photography’s position  in my life journey. There was a gap between my occupation and ideal career, I spent extra time filling the gap and making it closer to what I wanted to pursue.   


CHOU Ching-hui, ‘Out of the Shadows’ series, 1995. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
Bien entendu, il est encourageant de faire quelque chose à partir de son propre intérêt, mais vous n’êtes pas resté dans votre zone de confort en demeurant ‘ »observateur », ou « chroniqueur ». 

Non effectivement, il y a eu des rebondissements. Pendant ma lune de miel, j’ai visité l’exposition de Sebastiao Salgado « Workers, ‘An Archaeology of the Industrial Age‘ au musée d’Art de Philadelphie aux États-Unis. La figure des travailleurs était si impressionnante qu’à mon retour, j’ai décidé de lancer mon propre projet ‘Vanishing Leagues : Images of Workers‘ (2002) en hommage à l’ère industrielle.  C’était la période transformative de la Chine, qui aspirait aux réformes et à sortir de l’isolement. Sa tradition du travail collectif, qui durait depuis des centaines d’années, s’est rapidement éteinte avec le développement de la production mécanisée. Avec des portraits de diverses figures de la classe ouvrière, comme la caravane dans la province du Yunnan, le faucheur dans le nord-est de la Chine et les ouvrières aux puits de sel dans la région du Sichuan; j’ai cimenté mon point de vue : « La machine est inventée, tandis que l’homme est remplacé par sa propre invention ». Les changements survenus en Chine sont le résultat de la révolution industrielle qui s’est produite en l’espace de quelques années seulement. Ces photos peuvent être considérées comme représentatives du profil économique et historique de la Chine à cette période. 

Pour ma part ‘Out of the Shadows‘ était une analyse sur différents discours tels que la religion, la santé, la mort et d’autres microcosmes liés à la vie dans un petit village. A l’inverse, dans ‘Vanishing Leagues : Images of Workers‘, je me suis concentré sur un seul sujet – une mémoire collective dans l’histoire au travers de figures individuelles issues de la classe ouvrière. Après avoir lancé ces deux séries, je me suis demandé si la poursuite de multiples sujets constituait le véritable objectif de mon travail Je ne voyais rien d’inspirant dans ma carrière et j’envisageais de quitter mon poste dans les médias. Au même moment, l’ethos contemporain prédominant parmi mes pairs fut que l’art est une pratique anormale. Au contraire ma pratique semblait assez prévisible. Son concept et sa méthode restaient cohérents, alors la photographie est devenue pour moi un acte répétitif m’empêchant d’être créatif. 

L’inconnu m’attirait toujours. L’aventure à la lisière d’un territoire maîtrisable est exactement l’expérience que je cherche dans l’art. Avec l’évolution des conditions sociales, la photographie a été fréquemment utilisée par les artistes autour de l’an 2000, sans pour autant qu’ils s’identifient comme photographes. À cette époque, j’ai beaucoup réfléchi à la différence entre photojournalisme et photographie artistique. Les gens devraient être curieux des histoires autours d’eux, et personnellement j’aimais les récits que je rencontrais à travers le photojournalisme. Mon expérience a contribué à développer ma sensibilité et mon enthousiasme envers la narration, ce qui a nourri mes travaux ultérieurs.   

À travers des explorations photographiques, les événements sont constamment reconfigurés. Comme si cela amplifiait l’absurdité d’une fiction, où exploration et reconfiguation sont imbriqués l’un dans l’autre. 

Totally, making something out of your own interest is encouraging, but you didn’t stay in the comfort zoom as an ‘observer’, nor a ‘recorder’,  did you? 

No I didn’t, changes happend. I visited Sebastiao Salgado’s show ‘Workers, An Archaeology of the Industrial Age: Photographs by Sebastiao Salgado’ at the Philadelphia Museum of Art in the States during my honeymoon. Figures of workers were so impressive that when I got back home, I decided to start my own project ‘Vanishing Leagues: Images of Workers’ (2002) in tribute to the industrial age.  It was China’s transformative period aspiring to advance reform and open up from seclusion. Its collective working tradition lasted for hundreds of years vanished rapidly upon the development of mechanised manufacturing. With portraits of various working-class figures including the caravan in Yunnan Province, the reaper in northeast China and female workers at salt well in Sichuan area, I stated my point of view: ‘Machine is invented, whilst human is replaced by their own invention.’ Changes in China were results of the industrial revolution which happened within only a few years, those photos could be a major part of the profile representing China’s economic history in that period. 

For me, ‘Out of the Shadows’ was my observation on different discourses including religion, medication, death and other micro aspects upon living in one single village; while in ‘Vanishing Leagues: Images of Workers’, I focused on only one topic – a collective memory in history through individual working-class figures. After launching these two series, I wondered whether the pursuit of different topics was my real purpose of photo-taking. I couldn’t see anything inspiring in my career and was thinking of leaving my position in media. At the same time, contemporary ethos became prevalent among my peers, art was presented in out-of-norms ways. On the contrary, my practice seemed to be pretty predictable as its concept and method stayed consistent. Photography became an act of repetition, it prevented me from being creative. 

The puzzle of the unknown was still attractive tome, adventure upon the edge of manageable territory is exactly the experimental spirit of making art. With changes in social contexts, photography was widely used by artists around the year 2000, but they never really identified themselves as photographers. I thought a lot about differences between photojournalism and photography as contemporary art at that time. People should be generally curious about stories, and I personally liked the narratives within photojournalism. My journalistic experience had contributed to the warmness and enthusiasm of storytelling which nurtured my following works.  

Through photographic explorations, the events were constantly reconfigured. As if it elaborated the absurd factor of a fiction, where both are already embedded one in another. 


CHOU Ching-hui, ‘Vanishing Leagues: Images of Workers’ series, 2002. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
L’enchevêtrement des fragments virtuels et visuels génère des résultats imprévisibles. On vous en a probablement déjà parlé à maintes reprises. Je trouve très inspirant le fait que la photographie puisse être bien plus qu’un simple témoignage d’événements. Elle se situe dans des espaces entre les mondes imaginaire et réel. Quand avez-vous commencé à capturer des scènes surréalistes ? 

J’aime beaucoup les moments où l’on reste à un endroit, où l’on se contente d’observer et de capturer ce qui se passe. Mais c’est frustrant de continuellement chercher de nouveaux sujets. Je n’ai rien pu faire de créatif pendant quatre ans après ‘Vanishing Leagues : Images of Workers’. J’avais un emploi dans les médias, mes horaires étaient organisés en fonction des tâches à accomplir et je me sentais de plus en plus contraint par le temps qui s’envolait. Afin de me concentrer sur ma propre activité j’ai quitté la presse et fondé un petit studio, j’ai pris quelques contrats en free-lance puis planifié la suite. Pendant ce temps, je me rendais souvent à la bibliothèque pour lire des catalogues, biographies, conversations et tous les livres que je pouvais me procurer. Très vite, j’ai pris ma décision et commencé ‘Wild Aspiration : the Yellow Sheep River Project’ (2009). 

Yellow Sheep River est un village situé dans une région isolée du nord-ouest de la Chine. L’entrepreneur taïwanais Sayling Wen espérait relier la région au monde extérieur en développant un réseau informatique. La famille de Wen a poursuivi ce projet après son décès. Un de mes amis a été invité à réaliser une vidéo sur sa vision. On m’a demandé de participer à la documentation photographique du film, et éventuellement prendre des photos du village. J’ai découvert ce projet lors de la réalisation de  ‘Vanishing Leagues : Images of Workers’. J’ai pensé que la « révolution informatique » mise en évidence dans ce projet s’inscrivait dans la suite de la « révolution industrielle » représentée dans les « Vanishing Leagues (ligues en perdition) ». Au lieu de documenter, je me suis senti davantage associé à l’ « ambition folle » de l’entrepreneur – le monde pourrait être transformé par la technologie – une idée à la fois audacieuse et romantique. J’ai fait une proposition à la famille de Wen, mais je n’ai pas eu de réponse. J’ai donc hypothéqué ma maison pour poursuivre mon idée. À l’aide de quelques équipements loués, ma version du ‘Yellow Sheep River Project’ a débuté en 2006. Je m’y suis rendu chaque année d’avril à septembre en travaillant dans une gare routière abandonnée qui me servait de studio. Je dormais au guichet et prenais des photos dans le hall. Le projet a duré trois ans. 

Le projet ‘Yellow Sheep River’ fut lancé avec l’idée de présenter un monde visionnaire. Les enfants de la région ont donc été invités à dessiner leur imaginaire, qui incarnait leurs espoirs invisibles. Les dessins sélectionnés ont été reproduits sur les ruines du mur de terre, illustrant les changements liés au climat et modes de vie de la région. J’ai fait creuser des trous dans le mur pour que les enfants puissent jouer dans leurs propres peintures, leurs visions de l’avenir. J’ai appliqué certaines méthodes de photographie picturale, telles que la mise en scène des compositions et l’utilisation d’accessoires et costumes pour créer différents contextes. Certains éléments de la mise en scène photographique sont ainsi apparus dans les œuvres. 

Entanglement of the virtual and visual fragments generates variable outcomes. You’ve probably heard about this many times. It’s quite inspiring for me that photography can be so much more than an evidence of events as you locate it in spaces between the imaginary and the real world. When did you start to capture surreal scenes with a camera? 

In fact I quite like the moments where staying at a spot, you simply observe and capture what is happening. But it’s frustrating to continuously look for topics , I couldn’t do anything creative for four years after the ‘Vanishing Leagues: Images of Workers’. I had a job in media, my schedule was arranged according to duties, I felt more and more pressed with time flying away. In order to concentrate on my own direction, I left the newsroom and founded a small studio, taking some freelance cases and planning for the next steps. Meanwhile I often went to the library and read catalogues, biographies, conversations and whatever books I could grab. Before long I made up my mind and began ‘Wild Aspiration: the Yellow Sheep River Project’ (2009). 

Yellow Sheep River is a village in a remote area, in northwest China. Taiwanese entrepreneur Sayling Wen was hoping to have the area connected with the outside world through developing  a computer network  and internet. Wen’s Family continued this project after he passed. A friend of mine was invited to make a video about Wen’s vision upon Yellow Sheep River. I was asked to help photo-documenting the film, and perhaps also taking some documentary pictures of the village. I noticed this project when I was making the ‘Vanishing Leagues: Images of Workers’ series. I thought the « revolution of information » highlighted in this project was exactly the subsequence of « industrial revolution » represented in the « vanishing leagues ». Instead of documenting, I felt more associated with the ‘wild aspiration’ of the entrepreneur – the world could be changed by technology – an untrammeled yet romantic idea. I made a proposal about it to Wen’s family but  had no response, therefore I mortgaged my house to carry on my idea. With some rented equipment, my version of ‘Yellow Sheep River Project’ began in 2006. I went there annually from April to September and worked at an abandonned bus station as my studio. I slept at the ticket office and took pictures in the lobby, the project continued for three years. 

‘Yellow Sheep River Project’ was initiated with the idea of representing a visionary world. Thus local children were invited to draw their imagination which embodied their invisible hopes. Selected drawings were reproduced accordingly on the ruins of earth-wall illustrating the changes in lifestyle and weather in the area. I had some holes dug in the wall so kids could play in their own paintings, or visions for the future. I applied some methods of pictorial photography such as staging compositions, styling, using props and customs  to create various contexts. Some factors of staged-photography thus appeared in the outcomes. 


CHOU Ching-hui, ‘Wild Aspirations: the Yellow Sheep River Projects’ series, 2009. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
Comment étudiez-vous les éléments qui n’ont pas de figures corporelles ? Par exemple, l’interaction, la circonstance ou les moments. Avez-vous modifié votre pratique à un moment donné ? Comment comprenez-vous la relation entre « le visible » et « l’invisible » ? 

Je ne me souviens pas vraiment d’un tournant, j’ai plutôt progressivement trouvé un moyen de traiter le paysage immatériel. Dans une certaine mesure, mon approche de la mise en scène photographique a réformé et développé mes modèles de relations fictives. Cela m’a permis de présenter mes idées avec plus de précision.   

Certains accessoires du projet ‘Yellow Sheep River‘ ont été empruntés à des familles locales. Elles ont fourni des objets tels que des fleurs en polystyrène, un lavabo, de la pâte, des os de chèvre, des briquettes de charbon, etc. Afin de traduire la rupture du pays et l’inadéquation de son système éducatif, nous avons demandé aux enfants d’utiliser un langage corporel immitant l’adulte. Le tout en echo avec leur contexte quotidien où en général des personnes âgées s’occupaient d’eux plutôt que leurs parents. Ces derniers ayant quitté la maison pour la ville et travaillaient en tant qu’immigrés à cause de l’urbanisation. 

Une autre série a été inspirée par les images amusantes trouvées dans des dessins d’enfants. Des ordinateurs incarnés par des chèvres et des pommes de terre ont été reproduits sur le mur de terre, les ruines des maisons en terre traditionnelles. Ces dernières résultant du déplacement massif forcé par le gouvernement local, en raison de la désertification et de la pénurie d’eau. La maison s’est effondrée en même temps que la dégradation de l’environnement, le changement climatique, les déplacements forcés et le déracinement de la culture régionale, alors qu’elle constituait autrefois un abri vital. Je me suis demandé combien de temps le mur restant résisterait à l’exposition constante au soleil brûlant et au vent violent. L’image véhiculant l’espoir des enfants disparaîtrait-elle bientôt comme le sable dans le vent ? À travers les multiples processus de représentation, d’observation et de documentation, la complexité de ces événements réels m’a paru préfigurative. La réalité difficile n’entrerait jamais dans leur cadre idyllique, et l’écart entre ces deux extrêmes est un facteur qui est impossible à ignorer. 

Selon moi, les personnages, conversations et paysages sont un ensemble qui offre une scène instable où la discussion est soit en cours, soit sur le point d’avoir lieu. La négociation entre ces deux possibilités est où j’ai trouvé le paysage infini de la fantaisie. Nombre de mes œuvres ont été prises à l’aube ou au crépuscule, les moments les plus fluctuants. Chaque seconde peut être incroyablement différente l’une de l’autre et le temps s’écoule tel une énigme, enveloppant les images crées dans un mystère incertain. Le déroulement synchronisé de facteurs virtuels et visuels ouvre la voie à un potentiel infini pour les processus créatifs liés a l’expérience. L’ensemble conduit à une intégration totale entre les événements réels et leurs manifestations constantes. 

How do you handle objects without actual figures? For instance, interaction, circumstances or moments. Did you make some changes to your practice at a certain point? What’s your understanding of the relationship between ‘the visible’ and ‘the invisible’? 

I can’t exatly recall a turning point , instead I found a practical way to gradually deal with the scenario that’s out of physical sight. To a certain extent, approaches of staged photography reformed and developed the figures of fictional relationship. This allowed me to present my ideas more accurately.  

Some props of ‘Yellow Sheep River Project’ were borrowed from local families. Households included their items such as : flowers made of styrofoam, a washbasin, dough,  goat bone, coal briquettes, etc. Overly grown-up body language was employed by kids in settings associated with their daily lives .This was a result of the influence from their caregivers, mostly the elderly rather than their parents, whom had left home for cities and worked as immigrants due to urbanisation . The narrative in this project was about the vacancy of homeland, as well as the inadequacy of education.  

There was another series inspired by some fun images found in children’s drawings. Computers embodied by figures of goat and potatoes were reproduced on the earth-wall, the ruins of traditional earth-houses, a result of the mass relocation forced on them by the local government because of desertification and water scarcity. As a former shelter for living, the house collapsed along with environmental degradation, climate change, involuntary displacement and uprooting of the regional culture. I wondered how long the remaining wall could sustain its exposure to the scorching sun and wild wind? Would the images carrying the expectation of the children vanish like sand in the wind soon? Throughout multiple processes of depicting, observing and documenting,  the intricacy of actual happenings turned out prefigurative. In a sense, problematic reality would never fit in the framework under idealistic outlines, and the gap in between these was a factor that couldn’t possibly be ignored.  

Characters, conversations and landscapes composed as a whole provided an unsettled stage where conversation was either ongoing, or about to be happening. During the meditation between them, I found the boundless landscape of fantasy. Many of my works were taken at dawn or dusk, the most varying moments. Every second could be incredibly different, time flowed like an enigma, wrapping images in the mystery of uncertainty. Synchronistic unfolding of virtual and visual factors leads to an infinite potential for creative processes of experience, leading to integration where there is no detached relationship between the actual events and their constant happenings.  


CHOU Ching-hui, ‘Wild Aspirations: the Yellow Sheep River Projects’ series, 2009. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
La photographie est de plus en plus accessible avec la démocratisation des appareils numériques. Comment affinez-vous la définition du photographe en tant qu’artiste, vous qui travaillez principalement avec des images ? Y a-t-il des défis à relever ? 

Tout est capturé instantanément quelle que soit sa valeur. Nous vivons à une époque où l’image est devenue la principale source de reconnaissance visuelle. Pour ma part, au lieu d’avoir un seul point de focalisation dans une image, qu’un appareil photo peut automatiquement fournir, j’aime stimuler une vision complète et défier cette surface bidimensionnelle à travers ma pratique. Je prépare la composition et la mise en scène, ainsi que l’échelle, la couleur et le cadrage, ce qui contribue à l’esthétique de l’œuvre. En soit plus l’échelle est petite, plus il est difficile d’obtenir l’effet désiré. Par conséquent, la taille appropriée de la composition a une incidence sur la distance d’observation. Ce qui explique que la proportion et dimension des objets sont décidées à l’avance. Prenons l’exemple d’ ‘Animal Farm’ : il y avait beaucoup d’éléments à l’intérieur du bar, mais les humains et objets étaient relativement petits dans le champ de vision. Ainsi, je détermine les dimensions et le format des pixels avant la prise de vue. Il s’agit peut-être d’une tentative d’adopter la méthode la moins efficace en réponse au fait que l’image est devenue un produit de consommation rapide 

Je n’ai utilisé la caméra traditionnelle 4×5 qu’à partir de ‘Yellow Sheep River Project’. J’ai voulu reproduire l’image dans la taille originale d’un morceau du mur de terre, en grand format. Je n’avais pas les  compétences au début et il y avait même des fuites de lumière sur les films. Il m’a fallu une année entière pour m’adapter à l’appareil. Un autre défi fut le climat imprévisible. Parfois, les nuages m’angoissaient, car ils pouvaient couvrir le soleil ou, pire encore, apporter la pluie.  

Le tournage d’ ‘Animal Farm’, fut ma première collaboration avec une équipe de production.  J’ai de nouveau contracté un prêt pour engager des professionnels et du matériel. Les coûts de production ont dépassé mon budget et j’aurais pu m’endetter lourdement pour le reste de ma vie. Pourtant j’étais assez déterminé. Les regrets et projets incomplets sont les dernières choses que je souhaite emporter dans ma tombe. Je me suis poussé à la limite pendant le projet. Je me souviens que j’étais assez brisé mentalement et physiquement lorsqu’il fut terminé. Je n’ai récupéré que ces dernières années puis j’ai enchaîné avec ‘A Promised Land : The Planet of Angels’ en 2018. Au même moment des membres de ma famille qui me soutenaient dans mon travail sont tombés malades les uns après les autres. J’ai dû reporter mon projet à plusieurs reprises pour m’occuper d’eux. Avec tous les problèmes incessants de ces dernières années, je me suis dit qu’il n’y avait pas d’autre moyen de continuer que de rester fidèle à moi-même. 

Picture-taking is increasingly accessible due to the popularity of digital devices, how do you refine the definition of photographer as artist who mainly works  on images? Are there any challenges? 

True, it’s getting difficult to take a picture out of focus. Everything has been captured instantly regardless of its value, we are living in an era where image became the main source of recognition. Instead of having only one center of focus within a picture, that a camera can automatically provide, I like to stimulate the full-focus vision of human eyes and challenge this two-dimension layer through my photography practice. I compose the arrangement and setting of the scene, as well as the presentation of the scale, colour, and frame. They all contribute to the aesthetic of the piece as a whole. Technically, the smaller the scale of a piece the harder it is to achieve the effect I want. Therefore, a proper size of the composition affects viewing distance. As a result, the proportion and dimension of objects in the image is normally decided ahead. Take ‘Animal Farm’ for example, there were a lot of elements inside the bar, humans and other objects were relatively small within the full vision of the zoo. Subsequently, both the sizing that allowed the characters’ facial expressions to be visible, and the pixel format emboying vivid figures in a large-scale picture, were designed before shooting. Maybe it’s my attempt to take the less efficient method in response to the fact that image became a product of fast-moving consumption. 

I didn’t apply the traditional 4×5 view camera until ‘Yellow Sheep River Project’, because I wanted to reproduce the picture in the original size of a piece of earth-wall, in large format. I didn’t acquire the skill well enough at the beginning, there were even light leaks on films, it took me a whole year to adapt to the apparatus. Another challenge was the unpredictable weather. Sometimes clouds passing by made me anxious, it could cover the sunshine, or worse, bringrain.  

 My shooting of ‘Animal Farm’ was also the first time I worked with a production crew.  I took a loan again to hire professionals and equipment. Production costs turned out to be beyond my budgeting, I could have been heavily in debt for the rest of my life. Somehow I was pretty determined, I thought : incomplete plans and regrets from these would be the last things I wanted to bring to my grave . I pushed myself hard during production. I remember I was pretty broken mentally and physically when the project was done. I only recovered in recent years then started ‘A Promised Land: The Planet of Angels’ in 2018.  At that time, my family members, who had been supportive of my work, got sick one after the other. I had to postpone my plan a couple of times in order to take care of them. With all the incessant issues over the past few years, I thought there would be no other way but to stay true to myself in order to carry on. 

CHOU Ching-hui, ‘Animal Farm’ installation view at Museu do Oriente, Lisbon, Portugal, 2022
Courtesy of Museu do Oriente, the artist and CHINI Gallery.
Nous avons tous inévitablement vécu l’éclatement de la pandémie, des conflits politiques, en plus de notre détresse personnelle. Le projet « A Promised Land » s’est poursuivi pendant 4 ans au cours de cette période, avez-vous des réflexions à nous partager sur ce périple ? 

Ce projet porte sur les enfants handicapés, physiquement et mentalement, surnommés les anges3 . Ils ne m’étaient pas inconnus vu que j’avais été en contact avec eux lorsque j’étais photojournaliste. Je suis entré en communication avec la Angel Heart Family Social Welfare Foundation et j’ai entendu parlé des difficultés de leurs parents. L’organisation affirmant que « les enfants seront prometteurs si leurs parents sont en mesure de sortir (de la situation problématique) ». J’ai travaillé avec ces familles puis initié le projet photographique ‘A Promised Land : The Planet of the angels’ . Là encore, l’ampleur du programme a dépassé mes prévisions : il m’a fallu 316 heures pour interviewer 74 groupes de personnes liées aux « anges ». Le contenu des entretiens a été retranscrit dans un document de plus de 700 000 mots, accumulés au long de ces trois années. En outre, j’ai créé 148 personnages et effectué des déplacements sur 57 sites. J’ai finalement réduit mes données et demandé à 38 acteurs et actrices de jouer dans 14 scènes. 

À la suite des nombreux témoignages, mon défi fut de condenser les données de recherche massives en une légère image incarnant le double aspect des multiples récits avec leur histoire personnelle. Au fur et à mesure que le projet se développait, des conversations tacites ont émergé parmi les familles. L’émotion a joué son rôle dans les images. Bien qu’elle soit invisible elle a généré des réponses, interprétations et  associations que les spectateurs doivent réexaminer. J’ai toujours eu des doutes sur la division entre le « nous » et « eux » (les familles des anges). Les « familles normales », telles que nous les définissons, n’auraient-elles pas elles aussi des relations problématiques ? En réalité, nous pourrions partager nos différents expériences de vie tant que la compréhension mutuelle est développée, et que la division entre « normal » et « anormal » disparaît. Alors s’installe la « terre promise ». 

Tout au long du projet, j’ai été fasciné par la voix des personnes interviewées. Cela m’a rappelé les monologues des anciens conteurs dans les maisons de thé traditionnelles chinoises, où les scènes conceptuelles dans l’esprit des conteurs prenaient vie et étaient reconfigurées par le public en même temps. Les interprètes n’avaient même pas besoin d’un écran pour projeter leur imagination. La vitalité d’un récit renforcé par une voix était magnifique à mes yeux. La source originale de ce projet était la narration. En utilisant un matériel audio spécial avec lequel j’aimais travailler, je fus ravi de redécouvrir la reconstruction d’un espace visuel avec une incorporation sonore. 

We have inevitably been through the current breakout of the pandemic and conflicts among countries on top of personal distress. Project ‘A Promised Land’ has continued for 4 years during this period, do you have any thought to share about this journey? 

This project is about the physically and mentally challenged children (angels)3, they were not strangers to me as I had some contact with them when I was a photojournalist. Somehow I got in touch with the Angel Heart Family Social Welfare Foundation and heard about the their parents’ difficulties as the organisation asserted « The children will be promising if their parents are able to step out (of the problematic situation) ». I worked around with these families and initiated the staged photography project ‘A Promised Land: The Planet of Angels’. Again, the scale of the project was beyond my expectations: it took me 316 hours to interview 74 groups of people related to the ‘angel’.The content of the interviews have been transcribed into a document of over 700,000 words throughout those 3 years. Furthermore, I designed 148 characters and had filedtrips to 57 spots, I eventually narrowed down the data and had 38 actors and actresses perform at 14 scenes . 

In light of the numerous first-hand materials, my challenge was to compress the massive research information into a slight  picture embodying the dual aspects of multiple narratives and personal association. As the project was developing, unspoken conversations gradually emerged among the families . Emotion played its role in images although it was invisible, generating responses, interpretations and associations for the viewers to reexamine. I always have doubts about the division between ‘us’ and ‘them’ (the angels’ families), wouldn’t ‘normal families’ in our definition have problematic relations too? In fact, we could share our life experiences in many different ways as long as mutual understanding is developed and the division between ‘normal’ and ‘abnormal’ vanishes at a place where the ‘promised land’ settles in. 

Throughout the project, I was also fascinated by the voices of the interviewees. It reminded me of the old times when storytelling monologue was performed at Chinese traditional tea houses, where conceptual scenes in storytellers’ mind came alive and were reconfigured by the audience simultaneously. Performers didn’t even need a screen to project their imagination, the vitality of a narrative empowered by a voice was beautiful to me. The original source of this project was storytelling, using special audial material I liked to work with, I was excited to find out the reconstruction of visual space with the participation of sound.


CHOU Ching-hui, ‘Animal Farm’ series, 2014. Courtesy of the artist and CHINI Gallery.
Depuis votre première série ‘Out of the Shadows’, exposée en 1995, jusqu’au projet en cours ‘A Promised Land’, une grande partie de votre travail a plus ou moins atteint les périphéries de la société et le discours sur les minorités. Votre approche artistique à leur égard n’est pas une simple observation, mais une intervention. La manipulation visuelle est quelque peu controversée de nos jours, que pensez-vous de cela ? Quelle sorte d’expérience visuelle tentez-vous de créer par ces méthodes ? 

Le langage artistique de mon travail est assez simple pour certains publics avec sa perspective provocante ; tandis que d’autres ont trouvé difficile d’identifier les différentes couches de l’image avec sa foule de détails. Quoi qu’il en soit, d’après moi l’une des composantes les plus vitales d’une image est l’attrait émouvant qui s’échappe d’une réalité fissurée et impitoyable. Cela équivaut au rayonnement d’un site religieux solennel qui embrasse la douleur, la prière, le deuil et le sacrifice sanglant. Au nom d’une profonde association avec un tel esprit sacré, et une telle grâce à couper le souffle, je me devais d’être objectif, voire même parfois sans compassion lorsque je travaillais. Le désir et la réticence sont des facteurs imbriqués mais distincts du déroulement monstrueux de ce spectacle impitoyable. J’ai toujours essayé de développer un scénario pouvant susciter l’encouragement ou la réflexion. 

Plutôt qu’un simple constat des faits, la réalité concrète est ce que je considère comme l’une des particularités de mon travail. J’ai essayé de créer mon propre langage par le biais de la photographie lorsque j’avais quelque chose à dire. Je privilégie une pratique d’expression plutôt qu’un contenu de travaux. Je pensais que la communauté subculturelle était une microsociété alors qu’en réalité nous partagions des modes de vie similaires. J’espère que mon travail peut être un moyen d’accéder à leur récits, que les gens n’ont pas l’habitude de côtoyer. Ce serait formidable si les minorités pouvaient être vues en même temps que l’exposition de mon travail, mais je dois rester fidèle à mon intention première – la soif de s’exprimer, d’exprimer mes idées, conduisant ainsi à un examen du monde véritable. En fin de compte, c’est pour mon propre bien. Il n’est pas nécessaire de mettre en évidence l’humanité dans chaque œuvre, mais une image en elle-même peut témoigner de la compassion. C’est un miroir plutôt qu’une loupe, qui révèle un esprit sensible. La photographie me permet d’avoir une conversation avec mon environnement, mes mots peuvent être entendus et cela me donne un sentiment d’accomplissement. 

La plupart de mes travaux récents sont à grande échelle, les visiteurs de mes expositions sont généralement surpris. Beaucoup d’entre eux se sentent relativement petits et dérangés par les détails immersifs. Les multiples indices intégrés dans chaque œuvre constituent un guide complet des diverses expériences de vie. Chacun peut donc avoir une interprétation unique associée à son propre parcours. Mon travail est issu de la culture taïwanaise et de la tradition chinoise, mais je n’ai jamais tenu compte de l’aspect régional en faisant des photos. En revanche, je me suis concentré sur l’intérêt que je portais à ces périodes historiques. Mes thèmes persistants, à savoir la fin inévitable de la vie, la crise informatique et les contradictions inhérentes au système capitaliste, se traduisent par une double narration du personnel et du collectif. La compréhension mutuelle semble alors être le point d’ancrage fondamental qui permet aux individus de se rapprocher les uns des autres. Je réfléchis beaucoup à l’élaboration de cheminements accessibles pour les spectateurs lorsque je fais de l’art. J’espère que mes œuvres peuvent être stimulantes et non factices, façonnées par de multiples horizons d’images, dans un contexte d’esthétique et de conscience de soi. Après tout, ce n’est jamais au public de créer l’étincelle interprétative, mais à l’artiste. 

From your first series ‘Out of the Shadows’ on view in 1995 to the ongoing project ‘A Promised Land’, much of your work have more or less reached the peripheries of society and a discourse on minorities. Your artistic approach towards them acts not as mere observation but also intervention.  Visual manipulation is somehow controversial nowadays, how do you feel about this? What sort of viewing experience are you attempting to create through these methods? 

The artistic language of my photographs is pretty straightforward for some audiences with its provoking perspective; while someone also found it difficult to identify various layers of the image with packed details. Anyhow, one of the most vital components of a picture for me is the stirring allure that leaks from cracked and ruthless reality. It’s like the glamor of a solemn religious site embracing the pain, prayer, mourning and bleeding sacrifice. For the sake of in-depth association to such sacred spirit and breathtaking grace, to be objective or sometimes uncompassionate was what I had to  be when I was working on photography. Desire and reluctancy are entangled yet distinct factors of this ruthless spectacle’s monstrous unfolding . A scenario which might spark encouragement or reflection: it has always been what I try to make. 

 Rather than an evidence of events, precise reality is what I consider to be one of my work’s features. I tried to create my own language by means of photography when I had something eager to say . I cater to a practice of expression rather than content of work. I thought the subcultural community was a micro-society when actually we shared similar ways of living. I hope my work can be an access to their life which people don’t normally get to know about. It would be nice ifminorities could be seen along with the exposure of my work, however I have to stay true to my original intention – hunger of speaking out, expressing my ideas, thus leading to an examination of the real world. Ultimately, it’s for my own sake . You don’t have to point out humanity upon any piece of work, instead a picture can show compassion in itself. It’s a mirror rather than a magnifier of a sympathetic mind beneath. Photography allows me to have a conversation with my surroundings, my words can be heard and that gives me a sense of fulfillment. 

Most of my recent works are large in scale, people would usually be surprised on exhibition sites, many of them would feel relatively small and disturbed by the immersive details. Multiple clues installed in each piece made up a comprehensive guide to diverse living experiences, therefore anyone can have a unique interpretation associated with their personal life journeys. My work comes from Taiwanese culture and Chinese tradition, but I never took regional aspect into consideration when I was making photos. Alternatively, I focused on my interest back in those periods. My persistent themes of the inevitable end of life, information crisis and contradictions inherent in the capitalist system, are formed through a dual narrative of the personal and the collective where mutual understanding seems to be the fundamental sticking point for individuals to bond together. I thought a lot about developing accessible paths for viewers when I was making art. I hope my works can be energetic and not proxies, shaped by multiple scopes of images under the framework of aesthetics and self-awareness. After all, it is never the audience’s responsibility to create the spark of interpreting, but the artist’s. 

Entretien mené par Li Weiwei / Relecture et traduction par Amandine Vabre Chau
Interview by Li Wei Wei / Proofreading and translation by Amandine Vabre Chau


CHOU Ching-hui, ‘Animal Farm’ installation view at Museu do Oriente, Lisbon, Portugal, 2022
Courtesy of Museu do Oriente, the artist and CHINI Gallery.

1 Actuellement connue sous le nom de Shih Hsin University, Taipei, Taiwan. / Currently known as Shih Hsin University, Taipei, Taiwan.

2 C’était la période de la loi martiale à Taïwan, qui a duré plus de 38 ans. Une série de réglementations a été promulguée par le gouvernement à partir de 1949. Sous la loi martiale, les rassemblements, pétitions, publications et d’autres fondamentaux droits de l’homme furent réprimés.
It was the Martial Law period in Taiwan which lasted for over 38 years. A series of regulations had been promulgated by the government since 1949. Under the Martial Law, congregation, petition, publication and other fundamental human rights were suppressed.

3 Statistiquement, 5 % des enfants naissent avec des difficultés physiques et mentales. Ils sont appelés « anges » parce qu’ils ont souffert pour les 95 % d’enfants restants.
Statistically there are 5% of children with physical and mental difficulties when they are born. They are named ‘angels ’because they have suffered for the other 95% children.


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