REVIEW – ARTJOG 2024

by Vattaya Zahra

(english version below)

ARTJOG 2024 : « Motif : Ramalan (Prophétie) »

Depuis sa création en 2008 sous le nom de Jogja (surnom de la ville de Yogyakarta) Art Fair, ARTJOG est une plateforme de partage d’idées, de connaissances et d’expériences esthétiques. L’événement facilite les processus artistiques et créatifs contemporains par le biais d’expositions et de programmes publics, dans le but de faire tomber les barrières de la pratique artistique et de créer un réseau solide entre les artistes, le marché, les institutions et le public.

Sous le commissariat de Hendro Wiyanto, Bambang « Toko » Witjaksono et Ignatia Nilu, ARTJOG 2024 prend pour thème Motif : Ramalan (Prophétie), une exploration à travers le temps, la créativité et la culture. L’exposition suggère que la prophétie consiste à prédire l’avenir tout en interprétant le passé et le présent. Ce sujet remet en question la perception linéaire conventionnelle du temps, selon laquelle les événements considérés comme importants contribuent à un continuum intemporel de significations.

Pour répondre au thème de cette année, ARTJOG invite Agus Suwage (né en 1959) et Titarubi (née en 1968) en tant qu’artistes commandités. Ils collaborent à une installation de chambres de différentes tailles, Suara Keheningan (2024) (en anglais : The Sound of Silence), dans un couloir de 26 mètres de long, chacune avec ses configurations et ses messages. L’expérience se termine par une exposition de plants de riz au bout du couloir. Lorsque les visiteurs entrent dans l’exposition, ils découvrent une tour de 4 mètres de haut dressée au centre, s’élevant vers le haut plafond. Au sommet d’un solide poteau industriel, trois « oreilles » en bronze s’étendent dans différentes directions, scintillant sous les lumières du couloir. Elles semblent prêtes à projeter des sons, tout en restant silencieuses. Le contraste entre le poteau brut et les « oreilles » polies crée une réciprocité entre le silence et l’expression.

De part et d’autre de la tour, 51 variétés de plants de riz sont placées dans de petits tubes de verre sur une étagère métallique. Chaque tube ne mesure pas plus de 25 cm de haut et 5 cm de large. Dans cette installation, Titarubi explore le caractère sacré des plants de riz à travers ses recherches, en s’appuyant sur la sagesse et les mythes locaux. Au cœur de son travail se trouve la légende sundanaise (groupe ethnique originaire de la région occidentale de Java, en Indonésie) de Nyi Pohaci Sanghyang Asri, la déesse du riz, dont le corps a donné naissance à toutes les plantes bénéfiques. Le lien spirituel entre les humains et le riz se concrétise à travers le mythe, transmis par la tradition orale. L’extinction des semences et la perte de biodiversité menacent ce savoir. Une exposition de plants de riz au bout du couloir nous fait découvrir le lien vital entre la spiritualité et l’agriculture.

Des voix inconnues murmurent depuis les coins les plus reculés, en particulier depuis la chambre en briques. Des épis en argile sont fixés de manière éparse aux briques. Entre elles, des grains de riz non cultivés se trouvent à l’intérieur de briques de verre étiquetées par variété. Cette installation nous attire vers des enregistrements de prières et de rituels sur le lien spirituel entre la terre et le riz. À travers ces enregistrements, les artistes s’interrogent également sur la tolérance en Indonésie, un pays majoritairement musulman où l’animisme est pratiqué dans de nombreuses régions. Le gouvernement  » reconnaît officiellement  » six religions, mais qu’en est-il de celles qui n’entrent pas dans ces catégories ?

Un coin semble vide. La pièce entièrement blanche encadre une scène minimaliste. Deux chaises blanches aux lignes épurées sont installées derrière une table assortie, toutes deux baignées d’une lumière douce et diffuse qui estompe leurs contours. Sur la table sont posés deux livres ouverts, dont les pages semblent infinies. L’espace est dépourvu de toute distraction, concentrant l’attention du spectateur sur le passage silencieux et monumental du temps : On Kawara a vécu 29 771 jours. 

L’œuvre d’On Kawara (1932 – 2014) s’étend sur plus de cinq décennies, comprenant des peintures, des dessins, des livres et des enregistrements qui font la chronique du temps. L’œuvre One Million Years : Past and Future présente des classeurs de texte qui comptent un million d’années dans le passé et l’avenir. La première partie, One Million Years (Past), a été créée en 1970-1971 et se poursuit par la seconde partie, One Million Years (Future), réalisée en 1980 et 1998. La lecture de ces textes à ARTJOG 2024 marque sa deuxième présentation en Indonésie, après ses débuts au Museum MACAN en 2018. Exposée pour la première fois en 1993, cette œuvre de Kawara implique la participation du public, où les lecteurs suivent un format spécifique : un lecteur masculin pour les années impaires et un lecteur féminin pour les années paires, avec une certaine flexibilité pour les personnes non binaires. Toutes les lectures se font en anglais. Chaque session reprend là où la précédente s’est arrêtée, jusqu’à ce que les dix volumes des deux parties soient terminés.

Chaque artiste utilise le médium de son choix pour capturer l’essence de la prophétie dans son espace. Dans une pièce faiblement éclairée, une installation vidéo à trois écrans attire l’attention par sa scène immersive de l’intérieur d’une voiture. Chaque écran présente une vue différente de l’intérieur de la voiture : l’un d’entre eux montre une perspective de l’intérieur à l’arrière, tandis que les deux autres affichent des vues des fenêtres droite et gauche. Cette installation vidéo à trois canaux capture l’essence de la prophétie à travers un voyage en voiture. L’œuvre d’Ariani Darmawan (née en 1977) Sepanjang Jln. Kenanga (2024) (en anglais : Along the Kenanga Road) suit un groupe d’amis discutant de l’avenir, de souvenirs personnels et de scepticisme. L’installation, qui projette des vues depuis les fenêtres des voitures, place les spectateurs dans le voyage, évoquant des réflexions sur la nature incertaine des prédictions. Cette pièce juxtapose les désirs personnels et l’avenir énigmatique, à l’instar des réflexions utopiques sur les réalités actuelles.

Widi Pangestu (né en 1993) apporte son exploration de la fabrication du papier pour répondre au thème de Motif : Ramalan. Common Roots I-V (2024) utilise du papier de bambou fait à la main dans des cadres minimalistes en bambou. Les textures du papier varient du lisse et translucide au rugueux et tissé. Placées dans un espace ouvert aux murs blancs, les structures en bambou se dressent comme des sentinelles silencieuses. En fabriquant du papier à la main, en particulier à partir de bambou, Pangestu fait le lien entre des pratiques ancestrales et des préoccupations contemporaines, symbole de la résilience et de la continuité culturelles. L’œuvre reflète également le rôle du bambou dans les différentes cultures asiatiques, symbole de simplicité en Indonésie et de prospérité au Japon.

ARTJOG – Motif : Ramalan se déroule du 28 juin au 1er septembre 2024 au Musée national de Jogja, Yogyakarta, Indonésie


ARTJOG 2024 : « Motif: Ramalan (Prophecy)« 

Since its inception in 2008 by the name Jogja (a moniker for the city Yogyakarta) Art Fair, ARTJOG has been a platform for sharing ideas, knowledge, and aesthetic experiences. The event facilitates contemporary artistic and creative processes through exhibitions and public programs, dedicated to breaking down barriers in art practice and creating a strong network among artists, markets, policymakers, and the public.

Co-curated by Hendro Wiyanto, Bambang ‘Toko” Witjaksono, and Ignatia Nilu, ARTJOG 2024 centers on the theme of ‘Motif: Ramalan (Prophecy)’, an exploration across time, creativity, and culture. The exhibition suggests that prophecy is about predicting the future while interpreting the past and present. The theme challenges the conventional linear perception of time, that events that are considered important contribute to a timeless continuum of meanings.

To respond to this year theme, ARTJOG invites Agus Suwage (b. 1959) and Titarubi (b. 1968) as its commissioned artists. They collaborate on an installation of chambers of varying sizes, Suara Keheningan (2024) (English: The Sound of Silence), within a 26-meter-long corridor, each with its configurations and messages. The experience culminates in a display of rice plants at the end of the corridor. As the visitors enter the exhibition, a 4-meter-tall tower stood at the center reaching up toward the high ceiling. Atop a sturdy, industrial pole, three glossy bronze “ears” extend in different directions, glistening under the corridor lights. They seem poised to project sound, yet remain silent. The contrast between the rough pole and the polished “ears” creates a reciprocity between silence and expression.

Next to the tower, 51 varieties of rice plants are put in small glass tubes on a metal shelf. Each tube measures no more than 25 cm in height and 5 cm in width. In this installation, Titarubi explores the sacredness of rice plants through her research, touching on local wisdom and myths. Central to her work is the Sundanese (ethnic group native to the western region of Java, Indonesia) legend of Nyi Pohaci Sanghyang Asri, the Rice Goddess, whose body gave rise to all beneficial plants. People’s spiritual connection to rice is realized through the myth, passed down through oral tradition. The extinction of seeds and loss of biodiversity threaten this knowledge. A display of rice plants at the end of the corridor taps us into the vital link between spirituality and agriculture.

Unfamiliar voices murmur from far corners, especially from the brick chamber. Clay-made ears are attached sparsely to the bricks. In between them are ungrown rice seeds inside glass bricks labeled by variety. This installation draws us to recordings of prayers and rituals of the spiritual bond between the earth and rice. Through these recordings, the artists also question tolerance in Indonesia, a predominantly Muslim country with a practice of animism in many regions. The government  »officially recognizes » six religions, but what about those who don’t fit into these categories?

One corner looked empty. The all-white room frames a minimalist scene. Two sleek, white chairs sit behind a matching table, both bathed in soft, diffused light that blurs their edges. The table holds two open books, their pages seemingly endless. The space is free of distractions, focusing the viewer’s attention on the quiet and monumental passage of time: On Kawara lived for 29,771 days. 

On Kawara’s (1932 – 2014) work spans over five decades, including paintings, drawings, books, and recordings that chronicle time. The work ‘One Million Years: Past and Future’ features binders of text that count a million years into the past and future. The first part, ‘One Million Years (Past)’, was created in 1970 – 1971 and is continued by the second part, ‘One Million Years (Future)’, completed in 1980 and 1998. The reading at ARTJOG 2024 marks its second presentation in Indonesia, following its debut at Museum MACAN in 2018. First exhibited in 1993, this work involves audience participation, where readers follow a specific format: a male reader for odd years and a female reader for even years, with flexibility for those non-binary. All readings are conducted in English. Each session picks up where the previous one left off, continuing until all ten volumes of both parts are completed.

Each artist uses their chosen medium to capture the essence of prophecy within their space. In a dimly lit room, a three-screen video installation draws attention with its immersive scene of a car interior. Each screen has a different view from inside the car: one shows an interior rear-view perspective, while the other two display views from the right and left windows. This three-channel video installation captures the essence of prophecy through a car journey. Ariani Darmawan’s (b. 1977) Sepanjang Jln. Kenanga (2024) (English: Along the Kenanga Road) follows a group of friends discussing a fortune, personal memories and skepticism. The setup, projecting views from car windows, places viewers in the journey, evoking thoughts on the uncertain nature of predictions. This piece juxtaposes personal desire with the enigmatic future, similar to utopian reflections on current realities.

Widi Pangestu (b. 1993) brings his papermaking exploration to responding to the theme of Motif: Ramalan. ‘Common Roots I-V’ (2024) uses handmade bamboo paper housed in minimalist bamboo frames. Paper textures vary from smooth and translucent to rough and woven. Positioned in an open, white-walled space, the bamboo structures stand like silent sentinels. Through handcrafting paper, particularly made from bamboo, Pangestu bridges long-standing practices with contemporary concerns as a symbol of cultural resilience and continuity. The work also reflects the role of bamboo in various Asian cultures, from a symbol of simplicity in Indonesia to prosperity in Japan.

‘ARTJOG – Motif: Ramalan’ takes place June 28 – September 1, 2024, in the Jogja National Museum, Yogyakarta, Indonesia


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